Lisa Parfait
Bien dans ses baskets. C’est l’impression que donne Lisa, que l’on rencontre dans un café, cour Saint-Emilion. Et l’expression, nous le verrons plus tard, peut être prise au sens figuré comme au sens propre. En attendant, début de l’entretien sur son parcours pour devenir interprète en langue des signes française (LSF). Son accent indique le sud : effectivement, Lisa a grandi à Albi.
Apprendre la LSF n’a pas été une difficulté pour elle, puisque c’est sa langue maternelle. Ses deux parents sont sourds. Contrairement à d’autres, elle n’estime pas que cela a été un frein pour devenir interprète en langue des signes (LSF), mais plutôt un avantage : « Beaucoup se lassent d’interpréter, la tendance est complètement différente aujourd’hui concernant les CODA (acronyme pour Child Of Deaf Adult – enfant de parents sourds) mais sur ma génération et celle d’avant les parents pouvaient pas mal solliciter leurs enfants. J’ai été de celles et ceux qu’on a souvent sollicités, mais mes parents me le rendaient parfaitement bien ! Et aujourd’hui j’adore encore les traduire ! Et je ne suis pas prête d’arrêter d’interpréter que ce soit pour eux ou pour d’autres ! »
Pourtant, l’interprétariat n’était pas son premier choix professionnel. Elle veut être professeure de sport. Jusqu’à ce qu’une enseignante la prenne à part et lui explique que ce n’est pas forcément une bonne idée. « Mais du coup, qu’allais-je faire ? », raconte-t-elle. « Je ne savais plus. J’ai un papa qui était en équipe de France athlétisme sourds. J’ai fait du sport individuel, de l’athlé « comme papa ». J’ai également fait du volley. J’étais très engagée et investie dans le sport. Il était évident jusque-là pour moi que ce serait le sport mais il a fallu trouver un plan B. Alors, quand je rentre à la maison, j’annonce la nouvelle à papa et maman. Ils me répondent « il va falloir que tu réfléchisses rapidement car le bac arrive à grand pas », se souvient-elle. « Je réfléchis. » Et je me dis « Mais pourquoi tu n’y as pas pensé plus tôt ! Tu as cet avantage que les autres n’ont pas. Donc, pourquoi pas tenter dans cette voie, la langue des signes ? ».
Une fois le bac en poche, Lisa quitte Albi et s’inscrit dans une licence Sciences du langage à Toulouse. Elle passe deux ans dans la ville rose, puis s’envole au Canada pour sa troisième année. Elle en garde un excellent souvenir : « Je passe une année vraiment incroyable. J’apprends la langue des signes québécoise, je m’éclate. » A son retour en France, elle quitte le sud pour passer un Master d’interprétation F-LSF à l’université de Paris VIII. Elle décroche son diplôme en 2014 et n’a pas quitté la capitale depuis. En devenant interprète langue des signes lsf, Lisa a dû changer certaines habitudes : « Il a fallu revoir des postures que je n’avais pas. Jusqu’à présent, je venais juste aider mes parents à mieux comprendre. C’est lors de mes études d’interprète que je découvre une déontologie, une fidélité, une neutralité, des attitudes professionnelles à avoir. Parce que bien évidemment, étant enfant quand j’entendais une chose incohérente, j’ajoutais mon propre avis « mais c’est faux ce qu’il dit ». Parce que c’est papa et maman et que tu peux faire ça. Aujourd’hui en tant qu’interprète tout est bien différent, il y a beaucoup de choses que j’ai dû gommer et retravailler. D’ailleurs quand je traduis pour mes parents, depuis que je suis diplômée, je suis assise à côté de l’interlocuteur et non plus à côté d’eux. »
Une fois le diplôme en poche, elle commence par de la visio-interprétation, en salariat, et comme vacataire dans un service d’interprètes F-LSF. Après quelques années, elle devient auto-entrepreneuse à temps plein et travaille avec i LSF depuis plus 5 ans. Une bonne décennie de pratique lui a permis de connaître les domaines où elle était le plus à l’aise et ceux où elle l’est moins. « Au bout de 10 ans, on se connaît, confirme-t-elle. On sait ce qui nous correspond et ce qui ne nous va pas. Je deviens plus sensible à certaines situations, les enterrements, je préfère les laisser pour les collègues. »
Elle apprécie en revanche d’exercer au sein des tribunaux. « Je suis assermentée auprès de la cour d’appel de Paris. Donc je fais partie de la liste des experts interprète en LSF. Je suis souvent sollicitée dans le judiciaire. » Elle reconnaît ne pas accepter toutes les missions non plus car ces dernières peuvent être éprouvantes : « J’ai traduit deux grosses Assises sur quatre jours. Et sur ces deux Assises, il y avait un papa inculpé pour inceste et la deuxième, c’était un féminicide. Donc ce ne sont pas des choses que je peux accepter régulièrement. En revanche, je ressens le besoin d’y être parce que pour moi, ce sont des situations où il est vraiment important que la victime, si elle est encore présente, les enfants, ou la famille de la victime, s’ils sont sourds, puissent se faire comprendre et comprendre tous les enjeux du procès. Mais aussi que l’accusé puisse être entendu et comprendre. Car on a tous le droit à un procès équitable, peu importe le camp ».
Même si elle n’en a pas fait son activité professionnelle, elle conserve un attachement intact au sport, qu’elle pratique toujours, comme son père. Tous deux, partagent une autre passion : « On a cette passion commune de voyager une à deux fois par an que tous les deux. L’hiver on part skier ensemble et notre deuxième session on la choisit ensemble. Nous étions en Thaïlande il y a 3 mois à peine. »
Ces voyages à deux lui ont permis d’observer une évolution des regards portés sur les personnes sourdes : « J’ai un vrai point de repère parce que j’ai des moments en tête à tête avec mon père, quand on est que tous les deux et H24. Les regards, je les ai eus pendant des années. Est-ce que c’est parce que j’assume complètement la personne que je suis et la famille que j’ai ? Ou est-ce que vraiment, il y a un gros changement de mentalité qui fait qu’on est moins regardé, parce qu’il y a une meilleure connaissance de la surdité ? Car peu importe le pays dans lequel on va, les regards, on ne les sent plus. J’ai même envie de dire, ils n’existent peut-être plus ! »
Surtout, on a le sentiment que même si les mentalités n’avaient pas bougé, il en faudrait sans doute plus pour la déstabiliser.