Sylvia Babin
Il n’est pas difficile de parler de son travail avec Sylvia. Elle, qui se décrit comme une “workaholic” (accro au travail), aime profondément son métier d’interprète en langue des signes française (LSF). Et c’est communicatif. La jeune femme revient également volontiers sur son parcours personnel.
Sylvia grandit en République du Congo (Congo-Brazzaville) de ses 3 ans à ses 12 ans, jusqu’à ce que la guerre pousse sa famille à revenir en France. Ses parents s’installent alors à Fresnes, « juste devant la plus grande prison de France ». « Un peu rude le grand écart », commente-t-elle. Du Congo, elle garde un merveilleux souvenir: « Ce sont mes plus belles années, j’ai eu une enfance magique. » Après une licence en arts plastiques, elle tente de s’orienter vers l’enseignement, mais ne s’y sent pas vraiment à sa place. « Je ne l’ai pas du tout aimé, j’ai arrêté. », se souvient-elle.
Et puis un jour, chez le cousin de sa sœur, elle remarque sur le frigo un magnet avec l’alphabet en langue des signes, qui attise sa curiosité. Elle s’achète alors un petit livre pour en apprendre les rudiments. Et ce sont ses parents qui la poussent à aller plus loin. « Ils m’ont dit “tu aimes bien communiquer, tu aimes bien te rendre utile. On trouve que c’est une langue qui te va bien. Tu devrais vraiment tenter ta chance et te lancer là-dedans.” », raconte-t-elle. Pour joindre le geste à la parole, ils lui offrent une semaine pour découvrir la LSF. Banco. « Ça a été un gros coup de foudre et j’ai été lancée. », poursuit-elle. Elle y va petit à petit et s’investit d’abord dans des associations, où elle travaille deux ans, mais sans diplôme, ce qui n’est pas forcément bien vu par les confrères et consœurs. « Mais au moins, ça m’a permis d’avoir une première expérience dans le milieu de l’interprétation, explique-t-elle. Et après, je suis allée me former en master. »
Armée d’une bonne expérience, elle obtient son diplôme en 2013 à Paris III Esit. Elle débute comme salariée, puis devient indépendante et travaille notamment pour i LSF . « C’est une boîte qui m’a permis de gagner confiance en moi, parce qu’il y a un beau marché avec la mairie de Paris, glisse-t-elle. C’est super de pouvoir traduire pour le Conseil de Paris, d’être au cœur d’événements importants, de voir comment la démocratie s’exerceet de mieux comprendre les choses de la vie, la politique. » Depuis 6 ans, elle donne aussi des cours d’interprétation à l’université. « C’est génial. Parce que ça change un peu et que je peux enfin, moi, intervenir et partager ma passion, mon métier. »
Et quand elle ne travaille pas, elle s’implique dans l’associatif avec son épouse: « L’année dernière, nous avons créé une association avec ma moitié, qui est sourde. Moi, je suis sur l’interprétation, et iel sur la formation des sourds en français, à l’écrit. Parce que les sourds ont beaucoup de problèmes d’illettrisme. Iel leur donne des cours de remise à niveau. »
Comment explique-t-elle cette passion pour son métier? « C’est un peu cheesy ce que je vais dire, mais c’est un métier qui nourrit vraiment mon âme. Je trouve que d’être au cœur de l’humain, sans avoir son mot à dire sur ce qu’ils vivent, moi, ça m’a permis de comprendre un peu mieux la pensée des gens. J’ai un avis sur les choses et je ne manque pas d’opinions. Mais j’ai traduit tellement des bords différents, des gens qui ont eu des histoires et des éducations différentes, que ça m’a aidée à être plus tolérante. »
Lorsqu’on lui demande si elle retient des moments marquants de sa carrière, elle hésite puis répond « les trucs marquants, moi, j’en vis toutes les semaines. » Elle se rappelle tout de même une mission au Centre hospitalier Sainte-Anne: « C’était assez fort. Comment on traduit bien quelqu’un qui délire ? Comment je suis sûre de ce qu’il dit ? Comment mettre du sens sur du délire ? C’est étrange. » Son signe préféré? « Il y en a un qui est trop beau, je n’arrive jamais à le faire. Solstice. Solstice ? C’est beau, non ? » Elle esquisse le signe: [Solstice]. A part ça, elle aime voyager (« comme tout le monde ») et elle aime les tatouages, qu’elle essaie de ne pas trop dévoiler lorsqu’elle travaille. « Je trouve ça plutôt classe, mais ça attire l’attention. Ce n’est pas un métier où on est censé attirer l’attention. »
On revient un instant sur son travail: « Je trouve que c’est un métier où dix ans après j’apprends encore beaucoup. Hier soir, à l’ancienne mairie du IVème, avec ma collègue on a interprété une émission en live sur Twitch dont le thème était « La démocratie a-t-elle un avenir ? » C’était super dur. À un moment, ils ont parlé de l’instrumentalisation de la démocratie. Comment on traduit ça ? Quand je rentre à la maison, je continue à y réfléchir, je n’arrête pas de m’instruire. » « Je suis un peu une obsédée du boulot, quoi », lâche-t-elle. On avait remarqué !