Marie-Ange Guillard
Marie-Ange a proposé qu’on se rencontre à la gare Saint-Lazare pour un motif surprenant. Elle qui vit dans le 78 a souvent dû se rabattre sur un train qui l’amenait à Saint-Lazare car son train habituel ne fonctionnait pas. Elle associe donc la gare parisienne au sentiment de quelque chose qui l’a sauvée de la galère. Et c’est devant un café au lait – dont elle est, paraît-il, une grande amatrice – qu’elle déroule son parcours de vie qui l’a conduit à devenir interprète en langue des signes.
Née en région parisienne, Marie-Ange part vivre à 13 ans chez son père qui est installé à Nantes.
C’est là que tout a commencé avec la langue des signes : « J’étais au lycée en terminale et lors d’un voyage scolaire en Angleterre, j’ai vu un élève sourd qui signait. Pour moi c’était la première fois, je pense. J’ai eu tout de suite un coup de foudre pour la langue des signes. Je le voyais signer avec son copain, ça m’a tout de suite attirée. Je suis allée lui parler. Au début on s’écrivait sur des feuilles, avec un stylo. Il m’a montré l’alphabet en langue des signes et petit à petit il m’a appris des signes. Je suis sortie avec lui pendant un an et demi. Je me dis que c’est un peu le destin ».
Après sa terminale, elle revient en région parisienne pour faire un BTS d’assistante secrétaire trilingue. Mais, toujours passionnée par la LSF, elle prend des cours à l’association Visuel, à Paris. Parce que pour elle, c’est déjà évident : « A partir du moment où j’ai commencé à apprendre la langue des signes, j’ai su que je voulais en faire mon métier et que je voulais travailler avec des personnes sourdes. »
Son BTS en poche, elle passe un Diplôme Universitaire, pour pouvoir avoir le niveau Bac + 3 et entrer en Master. Mais comme ce n’est pas une licence, elle est obligée de faire un DESU professionnel bilingue. « J’étais en cours avec les M1, mais je payais 6 000 euros mon année, alors que les étudiants payaient leurs frais classiques. Donc entre le DU qui m’a donné le bac plus 3 et le DESU, en tout j’avais fait un crédit étudiant de 10 000 euros. Je le voulais vraiment ce diplome ! [Rires] J’y ai mis tous les moyens. »
Son diplôme en poche, en 2013, elle travaille d’abord dans un établissement scolaire pendant un an. Ensuite comme vacataire dans un premier service d’interprète à Paris. Elle enchaîne avec un autre service d’interprète et en 2021 sur une plateforme de visio-interprétation.
En progressant, elle reprend confiance en elle — le mot revient souvent au cours de la conversation. Et pas seulement sur un plan professionnel.
Elle se sépare du père de ses enfants, puis en février 2022, elle se fait opérer d’une sleeve : « J’ai perdu 50 kg. Ça m’a aidée à reprendre confiance en moi. »
En septembre 2023, elle se lance à son compte à temps plein et rejoint l’Agence i LSF . Elle s’y retrouve doublement : à la fois financièrement et pour l’organisation de ses plannings notamment les semaines où elle a ses enfants.
Résultat, après 11 ans de métier elle se sent enfin bien : « C’est vrai que ça me redonne aussi confiance parce que je me dis, que si des clients me rappellent, c’est qu’ils sont contents du boulot que je fais. Moi aussi, ça me valorise. »
Surtout, elle est heureuse de n’avoir rien lâché : « Même si j’ai rencontré des difficultés dans mon parcours professionnel, je savais que j’étais à ma place et que je voulais continuer à vivre de ma passion. »
Et cela lui donne presque des ailes. « Depuis que je suis en auto-entrepreneure, j’ose plus sortir de ma zone de confort, faire des choses un petit peu plus difficiles, poursuit-elle. Il y a des situations où je me bloquais moi-même en me disant que je ne pouvais pas les faire. En fait, plus je les fais, plus je me rends compte que, si, je peux les faire. » Un exemple : « Je suis très émotive. Donc, il y a des prestations que je vais éviter, comme les enterrements. Mais il se trouve que j’en ai traduit un depuis que je suis auto-entrepreneure. Je me suis dit « allez lance-toi ». Bien sûr, je n’ai pas pu m’empêcher de pleurer en traduisant les discours, mon émotivité a pris le dessus mais ça fait partie du métier, on est humain. Par chance j’étais raccord avec les circonstances, c’était quelqu’un qui pleurait en parlant. »
Autre moment qu’elle retient, une conférence avec Yann Arthus-Bertrand. « Je le connaissais uniquement parce que chez ma grand-mère j’avais vu le livre “La Terre vue du Ciel”. En traduisant, je me suis dit : quand même, on a vraiment une chance nous les interprètes parce qu’on a accès à des choses auxquelles on n’aurait pas accès normalement. C’est comme si on était une petite souris. Et en plus on est payé pour faire ça, donc c’est vraiment la belle vie ! »
Elle ne se voit pas faire un autre métier, d’ailleurs. « Ce que j’adore aussi dans mon métier c’est que je ne m’ennuie jamais. C’est un métier riche, on apprend toujours des nouvelles choses. Parfois, des trucs tout bêtes. Par exemple on va traduire des formations Excel et maintenant que je suis en AE, il faut que je fasse ma compta. Grace à la formation que j’ai traduite, je découvre des astuces dans le logiciel . »
Son signe préféré, c’est le signe pour dire « je me la pète ». Elle nous explique : « Il est très visuel, j’adore. Ça, c’est [fenêtre]. Et donc, c’est quelqu’un qui se met à sa fenêtre. Visuellement je l’adore parce que c’est vraiment quelqu’un qui va se mettre à sa fenêtre, comme pour dire regardez-moi. Et donc, c’est quelqu’un qui va se la péter. A chaque fois que je me retrouve à faire ce signe, moi qui suis à l’inverse, pas du tout à me mettre en avant, c’est comme si pendant une microseconde, je pouvais moi me mettre en avant. Quand je le fais, je me fais toujours un mini clin d’œil. »
Côté passions, elle évoque le chant lyrique (pas un hasard : ses deux parents étaient profs de musique), qu’elle a fait au conservatoire, mais qu’elle a arrêté. Elle apprécie aussi la danse et notamment les sons afrobeat, shatta, amapiano… Mais au fond, la passion de Marie-Ange, c’est son métier : « J’ai de la chance de vivre de ma passion. Ce n’est pas donné à tout le monde et je me dis tous les jours que j’ai vraiment une chance incroyable. »
Elle confie enfin une petite coquetterie : « j’adore faire mes ongles. », nous dit-elle en nous montrant fièrement les siens. « J’ai eu mon diplôme il y a 11 ans. Peut-être que les discours sont différents, mais il y a 11 ans, on nous disait : interdit d’avoir du vernis. C’était très strict. Depuis que j’ai perdu du poids, je prends plus soin de moi, je m’autorise à mettre du vernis. Et surtout, j’ai vu que ça ne dérangeait pas les personnes sourdes. Donc, je continue à avoir ma manucure ».
Alors qu’on la quitte sur le parvis de la Gare Saint-Lazare, elle revient une dernière fois sur ce que signifie le métier d’interprète pour elle : « Quand je suis sur une estrade en tant qu’interprète, ce n’est pas Marie-Ange, et j’ai l’impression que je peux tout faire ».