Anne van Hove
Certain.es ont une idée assez tôt du métier qu’ils ou elles veulent faire. Pour d’autres, la route est plus sinueuse. Anne fait partie de cette deuxième catégorie. Cette native de Charente, près d’Angoulême, donne l’impression d’avoir eu mille vies avant de devenir interprète en langue des signes française (LSF).
A 18 ans, elle part d’abord pour Toulouse, où elle fait des études de lettres (« J’ai fait ça parce que je ne savais pas quoi faire »). Après avoir bourlingué un peu, elle monte à Paris et se lance dans une maîtrise d’art théâtral. Elle passe ensuite 10 ans comme serveuse dans des bars. « Le monde du travail, ça ne me bottait pas plus que ça. Et j’avais envie de faire plein de petits boulots. J’ai fait quelques missions dans l’édition, je posais pour une école de dessin et je bossais dans les bars où j’ai rencontré plein de gens, des artistes, des gens en marge du main stream. En fait, j’avais surtout envie d’être très libre. C’était une époque très bohème, festive et décalée », raconte-t-elle dans un café près des Buttes Chaumont.
Mais la liberté a aussi ses inconvénients. Lassée de la précarité de sa situation, elle répond à une annonce d’un magazine qui cherche des journalistes (métier qu’elle n’avait pas exercé avant). Elle travaille ensuite plusieurs années comme pigiste dans le milieu de la danse contemporaine. « C’était sympa parce que j’allais voir des pièces plusieurs soirs par semaine mais aussi un peu frustrant parce que je faisais des critiques, des interviews de gens et j’aurais un peu aimé être à leur place. Et puis, après, j’ai arrêté ce boulot, parce que je ne me sentais plus légitime et aussi parce que je me suis aussi rendue compte que ce n’était pas pour moi. Trop de mondanités. C’est un petit microcosme. Je ne m’y sentais pas à ma place. »
Étape suivante : la création de bijoux en argent et en matériel de récup, entre autres des composants électroniques. « Et puis j’ai arrêté, je n’avais plus envie de passer mes journées enfermée dans un atelier. »
Vient la découverte de la LSF. « Mais je ne me souviens plus pourquoi », dit-elle dans un premier temps. Avant de préciser: « J’adore l’expression physique. J’ai fais beaucoup d’athlétisme quand j’étais petite. Pas mal de danse. » A Paris, en côtoyant des artistes, elle se découvre aussi une passion pour la marionnette. « J‘ai commencé à prendre des cours de langue des signes, mais sans du tout me projeter dans le métier d’interprète. C’était vraiment pour voir. », indique-t-elle.
Et c’est une révélation: « Ça m’a plu. Ça collait à qui j’étais. J’ai très vite aimé viscéralement cette langue que j’ai mis pourtant un moment à maîtriser. Donc, j’ai poussé jusqu’au bout les formations. Et après, je me suis dit, il faut que je fasse quelque chose avec ça. J’avais déjà une maîtrise d’art théatral et il fallait une licence pour rentrer dans l’école d’interprétation. J’y suis allée. J’ai passé le diplôme en trois ans. Et c’est ainsi que je suis devenue interprète. »
Elle obtient son diplôme en 2012 à Paris VIII-Serac. « Finalement, ça comble un peu ma grande passion pour la marionnette, dit-elle. Les mains s’actionnent dans l’espace en faisant parler quelqu’un d’autre. Quand je bosse, ce n’est pas moi qui parle, mais je traduis une parole qui passe part mes mains. Les marionnettes, c’est pareil. Tu actionnes des petits personnages. C’était très coïncident, je crois. »
Elle rejoint i LSF après avoir passée deux/trois ans dans d’autres agences. Elle n’a pas vraiment de domaine de prédilection, mais elle aime travailler dans le social : « j’ai l’impression qu’il s’y passe des choses vraies. » Mais même quand elle interprète dans des contextes moins forts ou qui l’intéressent moins a priori, elle y trouve son compte: « J’adore l’exercice de traduction, quoi qu’il en soit et où que j’aille, ça me plaît d’être dans une situation sans implication directe, où tu n’es pas toi. Tu n’es qu’un comédien tout le temps. J’adore. »
Elle se souvient d’une mission marquante, dans un hangar où on fabrique des moteurs d’avion: « C’était hyper confidentiel, il ne fallait pas dire à l’extérieur où on allait. C’était le secret professionnel plus plus ! On avait l’impression d’être dans un film d’espionnage. ». Son signe préféré, c’est “incroyable”: « J’ai toujours aimé celui-là. C’est un signe que j’ai plaisir à avoir en main. »
Aujourd’hui, elle partage sa vie entre Paris et les Cévennes. Quand elle ne travaille pas, elle pratique le banjo. « J’ai grandi dans la musique, glisse-t-elle. C’est une partie de ma vie. Je ne crois pas que je pourrais pas m’en passer. C’est un espace temps dans lequel je me sens chez moi. » Le registre du banjo c’est la country, mais ne lui en parlez pas trop ! « La country c’est peps mais les cow-boys ça va cinq minutes.Je me forme au bluegrass [un sous-genre de la country] pour acquérir une bonne dextérité et jouer de plein de styles. J’adore le blues, j’adore les musiques éthiopiennes, orientales. Je voudrais détourner le banjo de son style premier, revenir à l’origine quand le banjo était vraiment joué par les africains. »
Elle qui a exercé beaucoup de métiers a-t-elle enfin trouvé sa voie? « Professionnellement, oui, répond-elle. Là vraiment, je n’ai pas envie de changer. Alors que jusqu’à maintenant, je n’étais pas satisfaite. » Mais même si elle arrêtait l’interprétariat, elle ne pourrait pas se passer de la langue des signes: « La langue des signes, j’en ai presque besoin. Ça fait partie de mon identité. Quand on parle une autre langue que sa langue maternelle, on découvre une autre personne au fond de soi. C’est un état intéressant. »
D’autant que la LSF a un effet inattendu sur elle: « Parfois, je me demande pourquoi j’ai fait ce métier. Parce qu’à la base, je suis dyslexique. Quand je traduis, ou que je signe tout simplement, je ne le suis plus. Quand je traduis, en fait, je me sens libérée de ce bug qui me fait m’auto corriger en permanence . C’est donc très agréable. »