Vanessa Gory-Artaud
Passionnée de cinéma et de théâtre, Vanessa Gory-Artaud, nous a donné rendez-vous au café du Théâtre Lucernaire, dans le 6ᵉ arrondissement.
C’est justement le septième art qui l’a amenée à devenir interprète en langue des signes (LSF), métier qu’elle exerce actuellement. « J’ai fait des études de cinéma. Et je suis tombée, comme beaucoup d’interprètes et comme beaucoup de gens qui s’intéressent à la langue des signes, sur l’adaptation cinématographique des Enfants du silence avec Marlee Matlin . »
Elle, qui baigne déjà dans l’apprentissage des langues — elle a étudié notamment l’anglais, l’allemand et le japonais —, se décide à apprendre la LSF « juste par appétence pour les langues. Je me suis dit : pourquoi ne pas tenter l’aventure avec une langue différente, qui a une modalité d’expression différente ? »
Pour cela, elle suit des cours dans une Association à Paris : Sérac. C’est là, d’ailleurs, qu’elle découvre le métier d’interprète. « Souvent, lors du premier cours, il y a un interprète qui est là pour que le professeur sourd puisse établir les règles et prendre contact. J’ai trouvé ça super et hyper fluide au niveau de la communication. Après, évidemment, l’interprète n’était plus là, mais on s’est débrouillés, c’était très bien comme ça. »
Un constat s’impose rapidement : elle est au bon endroit. « Je me suis sentie à ma place, je me suis sentie à l’aise avec les sourds, » explique-t-elle. « Donc j’ai commencé à fréquenter la communauté sourde. À l’époque, il y avait des cafés-signes. J’ai fait un stage, comme beaucoup d’autres interprètes d’ailleurs, au CPSAS (Centre de Promotion Sociale des Adultes Sourds), qui se trouvait à l’Institut National des Jeunes Sourds. »
Là-bas, elle s’occupe de l’accueil en compagnie d’une personne sourde, ce qui lui permet de progresser. Puis elle se dirige vers l’enseignement, avec en tête l’idée de « faire quelque chose avec cette langue. » « J’ai eu l’opportunité d’enseigner. J’ai intégré deux établissements spécialisés pour jeunes sourds. »
Elle y enseigne le français pendant plusieurs années, mais garde une impression mitigée : « Je me suis aperçue que l’enseignement pour les sourds et les structures pour les sourds ne sont pas faits pour eux. On parle d’éducation spécialisée, mais elle n’est ni spécialisée ni adaptée pour les sourds. Beaucoup de professionnels ne signent pas, ne connaissent pas la culture sourde. Une majorité de professeurs ne pratiquent pas la langue des signes ou ne la maîtrisent pas bien. Je ne me sentais plus capable d’évoluer dans ce milieu-là, qui finalement ne respecte pas les enfants et les adolescents sourds. »
Elle décide par conséquent de changer de métier et de se tourner vers l’interprétariat. Direction Sorbonne Nouvelle-ESIT. Elle voulait passer le concours du Certificat Préparatoire, mais l’école lui répond que son niveau lui permet de passer directement en Master. Parce qu’elle ne se sent pas encore prête et qu’elle souhaite encore progresser, elle préfère attendre deux ans avant de finalement rejoindre l’école, dont elle sort diplômée en 2008.
Elle continue alors de travailler pour l’association A.Sourd, qui lui a financé sa formation. Lorsqu’elle quitte cet emploi en 2010, elle est recrutée par l’ARIS. Elle y officie jusqu’en janvier 2018, date à laquelle elle se lance en indépendante.
Très vite, elle collabore avec l’Agence i LSF , qui lui confie ses premières missions en tant qu’indépendante. Aujourd’hui, elle travaille également pour d’autres services d’interprètes et a une clientèle de particuliers à laquelle elle est attachée.
D’ailleurs, Vanessa avoue apprécier particulièrement l’interprétation de liaison. Et, fidèle à son parcours — elle est titulaire d’une maîtrise de philosophie —, elle se sent plus à l’aise dans les domaines littéraires que scientifiques.
Elle intervient également dans le cadre de procédures liées à l’accueil et à la protection des personnes réfugiées ou demandeuses d’asile.
« Ce sont des missions que je veux développer parce qu’elles me permettent de travailler avec un binôme sourd, soit un intermédiateur, soit un co-interprète, comme Vivien Fontvieille. » Des missions qui sont émotionnellement fortes. Elle évoque notamment le parcours de celles et ceux qui fuient la guerre en Ukraine : « Devant l’OFPRA, les migrants racontent la manière dont la guerre est survenue, que ça a été finalement quelque chose de soudain. Ils expliquent comment ils ont dû aller se réfugier, et comment, en tant que sourds, ils ont fait quand il y avait une alarme et qu’ils ont dû se débrouiller avec leurs voisins qui venaient les aider, leur envoyaient un message, un SMS. Ainsi, toute la journée et toute la nuit, ils devaient se relayer devant l’écran du téléphone pour voir s’il y avait un message et s’ils devaient aller s’abriter. Puis il y a le récit de tout leur parcours migratoire. »
Vanessa se rappelle également la première fois qu’elle a interprété durant le Covid : « On m’a demandé d’interpréter le discours du directeur général de la santé, qui tous les soirs nous annonçait le nombre de morts. Cela a été marquant, dans mon histoire d’interprète et dans l’histoire du pays. Et c’était l’une des premières fois que j’étais à la télé donc forcément j’avais peur de mal faire. »
Elle cite aussi « un super souvenir » lors d’une Nuit de la poésie à l’Institut du monde arabe : « J’ai interprété une slameuse. C’était génial. La langue des signes, je trouve, s’adapte totalement à ce genre de choses, au niveau de la prosodie, au niveau du rythme que tu peux donner avec ton corps. S’adapter à la prosodie de la personne, s’adapter à la musique, à la rythmique, c’était très chouette et enrichissant, d’autant plus que j’adore la musique, la danse et le chant. »
« J’aime ce métier, résume-t-elle, car il allie rigueur linguistique, expression corporelle, créativité, diversité des rencontres et richesse culturelle. Ce qui me passionne c’est d’exercer un rôle différent chaque jour, dans des situations variées où chaque intervention est unique. »
On évoque pour finir ses passions en dehors du travail. Il y a le cinéma et le théâtre bien sûr, comme dit plus haut. Côté salles obscures, elle cite David Lynch et, côté théâtre, surtout le théâtre de l’absurde, Samuel Beckett, entre autres.
Elle s’investit aussi dans les questions de société, comme l’écologie et les questions d’éducation, le combat féministe, et lance : « C’est grâce à mon fils que je me suis révélée féministe. » Elle précise : « Avant, je pense que je traversais la vie comme ça, en ne me posant pas trop de questions, et j’ai eu un enfant, un garçon. Et là, je me suis dit : je vais réfléchir à son éducation, donc je me suis beaucoup investie dans ce domaine. »
Cela aurait presque pu devenir une nouvelle vocation, d’ailleurs : « J’aurais adoré reprendre, par exemple, des études de psychologie pour pouvoir être psychologue pour enfants. Et notamment psychologue signante pour des parents et/ou des enfants sourds. Je ne vais pas le faire, mais dans l’absolu, c’est quelque chose qui m’aurait plu. »

