Christelle Cougnon

On se retrouve avec Christelle devant l’Opéra Bastille. Pour la partie photo du portrait, on a parfois eu la chance d’avoir du soleil… Pas cette fois-ci ! En attendant que la pluie s’arrête (l’espoir fait vivre), on s’attable dans un café bondé de la Bastille, avec des voisins qui parlent de cinéma (un peu fort) à côté. 

Christelle a grandi à Parthenay dans les Deux Sèvres. Elle découvre la langue des signes “par hasard” à 12 ans :  « J’avais une copine de classe qui avait une cousine sourde. Je n’ai jamais rencontré la cousine sourde, mais ma copine m’avait appris l’alphabet et des petites phrases. Un gros coup de cœur. J’ai grandi avec l’idée que je voulais apprendre cette langue. »

Elle prend ses premiers cours de LSF à 18 ans, mais se destine plutôt à être enseignante en biologie. Elle se pose néanmoins des questions : « Après ma licence, j’étais face à un choix : soit continuer à faire prof de bio, soit aller vers la langue des signes. » Elle opte pour le second choix et postule à l’IRJS (Institut Régional des Jeunes Sourds) de Poitiers — en sachant juste « les couleurs et les animaux » — où elle est prise immédiatement. Mais c’est la déception :  « Je suis restée quelques mois à faire du soutien scolaire pour les jeunes et quelques activités, en me demandant ce que je faisais là. »

Elle décide alors de se former davantage et découvre le métier d’interprète lors d’une journée proposée par l’ AFILS (Association Française des Interprètes et Traducteurs en Langue des Signes) à Poitiers. On lui conseille d’aller apprendre à Paris, parce que c’est “plus reconnu”. Christelle obtient son diplôme en 2009 puis travaille dans un service d’interprètes. Mais le programme qu’elle avait imaginé se retrouve un peu chamboulé par un événement inattendu : « C’était initialement pour quelques mois. Je voulais ensuite aller travailler à Toulouse. Or, à la fin de mon CDD, au moment où on me proposait un CDI, j’ai rencontré un parisien alors je suis restée à Paris. » 

Elle va y travailler 12 ans puis rejoint l’équipe d’ i LSF il y a 2 ans comme indépendante. Ses domaines de prédilection ? « Comme j’ai une licence de biologie, je comprends peut-être un peu mieux les sciences, et beaucoup moins la linguistique, par exemple. Après, au fil du temps, on acquiert de lexpérience dans plusieurs domaines, on remplit son sac de billes… »

« Ce que j’aime dans ce métier, c’est que c’est très varié, on ne fait jamais la même chose. » Elle apprécie d’avoir un planning qui change en permanence, de découvrir de nouvelles choses tous les jours. « A chaque fois, il y a quelque chose qui va me plaire dans la prestation : soit c’est le thème, soit c’est la personne, le collègue, le lieu… Je trouve toujours ».
En tant qu’indépendante, elle apprécie de pouvoir choisir ses missions. Elle s’est mise au vélo pour aller travailler et elle peut ainsi pédaler dans tout Paris.

Son interprétation la plus marquante, c’est pour une personne qui venait de perdre son enfant. « Elle a dû raconter les circonstances du décès, raconte-t-elle. Sa fille avait mon âge. Je nosais pas l’interrompre, même si par moments je n’étais pas sûre de moi. C’était tellement riche en émotions. Elle nosait pas me regarder dans les yeux. Je me disais que ça aurait pu être moi. J’étais jeune diplômée. Quand je suis sortie, ça a été un peu dur. J’ai dû évacuer auprès de ma propre mère : c’est émotionnellement le moment le plus fort que j’aie vécu. »

Elle retient également des expériences plus positives :  « Un homme sourd était candidat dans un jeu de poker à la télévision. Il était sur le plateau et moi j’étais dans les coulisses. Il suivait les échanges, que jinterprétais, sur une tablette devant lui. Lors de sa présentation, puis à chaque fois qu’il a été interrogé, c’est ma voix qui a été entendue à la télévision. C’est très sympa d’être dans les coulisses dune émission, même si je ne connais pas du tout le poker et que je n’y joue pas. Plus récemment, jai interprété des contes pour Halloween. C’est assez drôle face aux enfants. »

Elle qui voulait apprendre la langue des signes depuis son enfance est-elle satisfaite ?  « Je voulais apprendre la langue des signes mais je ne savais pas que je voulais être interprète. Mais cest très bien tombé parce que j’ai fait du théâtre pendant mon adolescence et c’est utile pour travailler sur l’iconicité de la langue, les prises de rôle. Et le fait que je sois curieuse et que j’aime bien changer et découvrir énormément de choses, bref, ça a été le combo de tout. »

Son signe préféré, c’est « tortue », « parce qu’il y a la tortue de terre et la tortue deau [elle signe les mots]. C’est un des premiers signes que j’ai appris. J’ai trouvé ça mignon. Après, d’une manière générale,  ce que j’aime, c’est jouer avec les signes. Ça fait partie de la langue. J’aime beaucoup l’iconicité et ce qu’on peut en faire  », ajoute-t-elle.

Enfin, parce qu’il n’y a pas que le travail dans la vie, elle fait attention à garder des moments pour elle. Chaque semaine, elle se réserve une journée avec son conjoint et du temps avec ses enfants et passe ses week-ends en famille. Elle chante dans une chorale, fait du pilates, du vélo et se passionne pour les mandalas (des motifs à colorier). Elle aime aussi profiter de l’offre culturelle de Paris, mais également s’en échapper pour partir en voyages, se reconnecter avec la nature… Si ce n’est pas le bonheur, ça y ressemble ! 

xavier héraud