Pauline Wauthier

Pauline Wauthier, interprète en langue des signes française (LSF), est bien dans sa Seine-et-Marne (77). Elle nous donne d’ailleurs rendez-vous à Torcy, à 30 minutes de chez elle. Elle y est née, y a grandi et y travaille. Et elle compte bien y rester.

La langue des signes ? Un « pur hasard », dit-elle.
Après le bac, sa meilleure amie, avec qui elle va vivre en colocation, s’inscrit à Paris VIII pour devenir neuropsychologue. De son côté, ne sachant pas encore vers quelles études elle doit s’orienter, elle se rend à la journée portes ouvertes de l’université. Après exploration des parcours, elle se décide : « En choisissant les sciences du langage, je me suis dit que ça ouvrait plein de portes professionnelles : professeure des écoles, orthophoniste. » Dès sa première année de licence, elle remarque la présence de personnes sourdes destinées à devenir professeurs de langue des signes. Elle découvre alors l’interprétation : les cours étaient traduits par des équipes d’interprètes.

Pauline s’attarde sur ce dispositif et remarque la difficulté, pour les élèves sourds, de prendre des notes et de suivre le cours en même temps. Ce travail étant vraiment peu aisé, elle constate que d’autres élèves sont engagés par l’université afin de transmettre leurs notes. Elle décide donc tout naturellement de se porter candidate. Finalement preneuse de notes pour les élèves, elle se retrouve confrontée à son premier écueil : « Cela a été ma première rencontre avec la communauté sourde. Je m’étais appliquée à bien tout écrire, surligner, mettre des belles couleurs et prendre tous les mots, toutes les phrases… Et quand je leur ai amené mon travail, je me rappelle que l’un d’eux a regardé le cours et m’a informée que ça n’allait pas, qu’il y avait trop d’informations. C’était trop pour eux, le français restait compliqué et le contenu que j’avais rédigé ne leur permettait pas de comprendre. C’était hyper intéressant parce que moi je ne connaissais pas la langue des signes, mais ils m’ont bien fait comprendre que ça n’allait pas. On m’a donc expliqué comment procéder et je me suis adaptée. » Ce moment fut décisif : c’est à ce moment-là qu’elle comprend l’importance et tout l’enjeu de l’aspect visuel.

Son parcours universitaire se poursuit et, en deuxième année, on lui propose de prendre l’option langue des signes, tout en suivant également des cours d’histoire et de culture de la LSF. Évidemment, elle s’y plonge.

À la fin de sa licence, on lui conseille de tenter les examens du master, malgré un apprentissage tardif de la langue. Elle tente les examens d’entrée, à Paris VIII, son premier choix, et à l’ESIT. Elle est prise à l’ESIT. Petit détour par les rattrapages, elle travaille dur deux années durant et parvient à tout valider. Le soutien des autres élèves de sa promo aura été particulièrement précieux pour elle. Finalement, avec de la persévérance et un travail acharné, elle décroche son master en 2015.

Une fois diplômée, elle crée son auto-entreprise tout en travaillant comme salariée chez Deafi, où elle restera quatre ans. Puis, changement professionnel : elle devient salariée chez Tadeo un an. Et là, le Covid. Cette parenthèse sanitaire la force à télétravailler à la maison. Elle en profite alors pour se lancer à plein temps en tant que travailleuse indépendante, afin de pouvoir proposer et choisir ses missions. C’est a ce moment qu’elle rejoint les équipes de l’Agence i LSF.

Bien qu’elle travaille régulièrement sur Paris, l’essentiel de son activité se passe en Seine-et-Marne : « Nous ne sommes pas beaucoup d’interprètes, une petite dizaine environ. Et la Seine-et-Marne, c’est tellement grand que même en étant peu, nous sommes obligés de nous diviser en deux pour avoir le nord et le sud. Une mission en Seine-et-Marne, c’est une demi-journée, parce que les trajets en voiture prennent du temps. » Pas de quoi la refroidir : « Je préfère mille fois être dans ma voiture pendant une heure et demie que faire 45 minutes de métro. »

Elle se rend également parfois à Disney, en fonction des besoins de i LSF. Au départ, ne considérant ni la danse ni le théâtre comme des domaines de spécialité, et l’anglais n’étant pas une langue qu’elle maîtrisait, elle ne s’octroyait pas le droit d’y aller. Finalement, un heureux hasard l’amène à traduire un spectacle et c’est la révélation : « Je me disais que ce n’était pas pour moi, explique-t-elle. Et puis, j’ai fait une première mission pour aller traduire les répétitions du spectacle du Roi Lion. J’ai regardé le spectacle, et mon âme d’enfant est revenue d’un coup. Elle m’a interpellée : regarde comme c’est beau. J’avais les larmes aux yeux sur une des chansons. C’était super, donc j’y vais de temps en temps. C’est une chance. »

Dans sa pratique plus courante, Pauline est à l’aise dans le domaine de la formation, avec des éléments de préparation, notamment les formations secourisme : « C’est une formation en direct aussi pour nous. Je trouve ça super d’avoir des rappels, et on en a tout le temps. » Elle assure ce genre de prestations plusieurs fois dans l’année.

Après dix années de métier, elle garde en mémoire une mission en particulier : une échographie pour une future maman. Elle revient avec nous sur ce souvenir : « Son mari était entendant, mais n’était pas présent. Au moment où on fait l’échographie, on entend le cœur, sauf qu’on se met à entendre un cœur en doublon. La médecin annonce alors qu’il n’y a pas un bébé, mais deux bébés. La future maman attendait des jumeaux… Moi, je l’entends et il faut que je lui dise rapidement ce que j’entends. Je lui avais déjà proposé de prendre une de ses mains pour faire le battement du cœur en rythme. Elle était trop contente que je lui propose ça. Au moment où je tique, avec la médecin on se regarde, elle me dit : “Oui, il y en a deux.” Du coup, je prends la deuxième main et je fais le double battement. C’est alors qu’elle comprend. Quand on se lâche les mains, elle me fait le signe [jumeaux]. Je lui réponds un grand oui, comme si c’était ma grossesse ! » Ce moment inattendu marque vraiment le parcours de Pauline : « Ce qui a été fou, c’est que juste à la fin, elle m’a demandé d’appeler son mari pour lui annoncer que ce sont des jumeaux. Donc, je me retrouve au milieu d’une grande scène d’amour, avec le mari en larmes au téléphone et sa femme qui lui dit : “On va avoir des jumeaux, mon chéri, je suis trop contente !” C’était fou. C’était l’un des plus beaux moments, je crois. »

En dehors de ce genre d’exceptions, elle reste animée par le plaisir de traduire tant de diversité : faire plein de missions, rencontrer plein de personnes, aller dans plein de lieux différents, être confrontée à différentes difficultés, découvrir les multiples solutions apportées aux problèmes, se confronter à la multiplicité des méthodes de management.

Dans la langue, elle apprécie aussi particulièrement les expressions pi-sourds (typiquement sourdes) et cite comme exemple « tape sur le nez » ou « paf », qu’elle trouve très parlants : « Toutes ces expressions pi-sourds, j’ai mis énormément de temps à les comprendre. Et encore, il y en a beaucoup dont je peux avoir un doute selon le contexte. Il ne faut pas se tromper. Dans le doute, je m’abstiens et je me renseigne. »

Si son travail est dynamique, Pauline ne s’en contente pas et est aussi une passionnée de sport. Elle fait du triathlon et vient de boucler son premier marathon en avril en moins de 4 h : « une petite fierté ». Elle n’en oublie pas pour autant le plaisir immense qu’elle a au contact de ses autres grands plaisirs : un temps bien consacré et partagé entre ses copains et ses copines, le jardinage, ses activités et le temps octroyé à sa maison et sa famille. 

Le tout, bien sûr, en restant généralement dans le 77 !

Pauline Wauthier, interprète en langue des signes de l'Agence i LSF

xavier héraud