Christelle Pezzucchi

En cette froide après-midi de janvier, Christelle affiche la mine radieuse de celles et ceux qui viennent de prendre quelques vacances. La bonne humeur aussi. Attablée à un café près de la place de la Nation, elle se prête de bonne grâce au jeu du portrait.  

Elle a grandi en région parisienne, à Puiseux-en-France (95).
Comment a-t-elle découvert la LSF ? « J’adore les langues de manière générale, répond-elle. Je savais que la LSF existait, mais je ne me rappelle pas comment je l’ai connue. Ça m’intéressait de l’apprendre, au même titre que l’anglais, que l’espagnol ou l’italien. » Quant à être interprète, cela ne lui était pas venu à l’idée, jusqu’à une suggestion de sa mère : « J’adorais la danse, c’est ma passion. Je voulais en faire mon métier, sauf que mes parents n’étaient pas d’accord. Comme j’adorais l’anglais et que j’avais des bonnes notes à l’école, ma mère m’a dit « pourquoi ne ferais-tu pas interprète ? » Je lui ai répondu que ça me semblait bien trop compliqué. Mais finalement, ça a été une graine plantée dans mon esprit et elle a bien pris sa place. »

Elle passe donc une licence pour devenir interprète français-anglais, puis part vivre quelque temps en Angleterre et en Australie. A son retour, elle commence à avoir des doutes. L’anglais lui semble « un peu basique » (« tout le monde peut parler anglais ») et elle préfère les choses « plus originales ». Elle se décide alors à apprendre la langue des signes et s’inscrit à une formation intensive de 6 mois. Le but initial est juste d’apprendre, pas de devenir interprète. Son premier cours est une « révélation ». « Tu te dis « d’accord, j’ai compris », c’est ça que je veux faire. », confie-t-elle. Elle fait ensuite un DU (diplôme universitaire), et finit par intégrer le master d’interprétariat en LSF. Son diplôme en poche en 2020, elle est ensuite engagée par une entreprise de visio-interprétation. Dans ce cadre-là, elle écrit un article sur le métier. Il y a deux ans, elle quitte le salariat pour se mettre à son compte et rejoint alors l’équipe d’ i LSF. Quatre années de pratique professionnelle, qui lui prouvent que jusqu’ici, elle a fait le bon choix. 

En raison de la langue elle-même, tout d’abord: « Je fais de la danse alors tout ce qui est expression par le corps ça me touche beaucoup. Jai l’impression que c’est vraiment une langue qui fait partie de moi. » Puis du métier d’interprète lui-même: « C’est le travail cognitif de devoir tout transposer dans une autre langue, se décoller de la structure d’une langue pour aller vers une autre. C’est ce travail-là que je cherche et qui me stimule dans le métier. » Elle n’a pas vraiment de domaine de prédilection (« j’aime tout ») pour interpréter. Toutefois, elle reconnaît éviter les hôpitaux qui peuvent parfois être émotionnellement difficiles.

Elle cite en revanche deux expériences marquantes dans le bon sens du terme. Tout d’abord, excusez du peu, un concert de Coldplay.  « Au début, tout le monde pensait que c’était une blague. Et en fait, ils cherchaient des interprètes qui étaient aussi compétents en anglais. Blague ou pas, j’ai signalé que j’étais disponible, au cas où.» Elle a bien fait, il ne s’agissait pas du tout d’une plaisanterie ! Dans le cadre de la mission, il fallait interpréter les échanges avec le public pour des invités sourds, en coulisses. « Franchement, c’était un événement incroyable. Tu vas au concert de Coldplay, tu es en loge VIP au Stade de France. Tu arrives, tu as ton entrée parking. C’est vraiment un métier merveilleux. »

Le deuxième souvenir s’est déroulé dans un cadre plus formel. Il s’agissait d’une mission à l’Elysée, lors de la Conférence Nationale sur le Handicap, où le président de la République s’exprimait. Elle se rappelle particulièrement l’après-conférence : « A la fin, Emmanuel Macron sest avancé dans le public pour rencontrer les gens. J’étais avec un monsieur sourd qui voulait lui poser une question. Nous nous sommes frayés un chemin et il a pu lui poser sa question. Du coup, j’ai interprété pour Emmanuel Macron. Et ça aussi, c’était une sacrée expérience. » Quelque temps plus tard, les amis et collègues de Christelle ont la surprise de l’apercevoir sur le compte Instagram de la Présidence. « C’est vrai que c’est pour ça qu’on a de la chance », résume-t-elle, avant dajouter:  « Dans quel autre métier je serais allée au concert de Coldplay ? Dans quel autre métier j’aurais pu aller à l’Élysée ? »

Elle a bien un signe préféré, mais prévient-elle avec un sourire: « Bon courage pour le mettre par écrit ! » Elle s’explique:  « Le petit problème, c’est qu’il n’a pas vraiment de traduction. C’est pour ça que je l’aime bien. Il est hyper compliqué à traduire alors qu’en langue des signes, quand tu comprends ce que ça veut dire, il est tellement clair. En résumé, c’est quand tu cernes quelqu’un. Tu lis dans la personne, tu la scannes. Je vois ça comme des rayons. Et tu peux le faire avec deux personnes, pour dire « on s’est bien entendu tout de suite. »

Vers la fin de l’entretien, on évoque ses passions. Il y a les voyages et surtout il y a la danse dont on a déjà parlé à plusieurs reprises. Elle a pratiqué de nombreux styles : le classique, le hip hop, la house, la salsa, la bachata et le kizomba. Peut-être plus surprenant, il y a aussi la moto. Elle en possède une depuis peu et se félicite, non sans fierté, d’avoir convaincu son père d’en acheter une aussi. Au final, il semble y avoir une constante chez Christelle : le mouvement. Si bien sûr, on l’a bien « cernée » (pensez ici au signe qu’elle évoque un peu plus haut). 

xavier héraud