Cindy le Clech
La météo est formelle, c’est la dernière belle journée d’octobre. Peut-être de l’année. Après, ça va se gâter. On en fait la réflexion à Cindy, lorsqu’elle s’installe au café. Elle s’inquiète alors du temps qu’il fera ce week-end pour son tennis. Et pour se renseigner, elle sort une appli météo très pointue qui détaille pluie et vent et donne les meilleures probabilités. On comprendra pourquoi plus tard. En attendant, interview d’une interprète en langue des signes française (LSF).
Cindy a grandi en région parisienne, entre Melun et Fontainebleau. Elle vit à Paris depuis 2007, d’où elle n’a pas bougé à part pour faire une année d’études à Vienne en Autriche. Elle ne se voit pas quitter la capitale. Presque plus par rapport au travail qu’au côté personnel, d’ailleurs. Le travail est plus diversifié ici.
La langue des signes, elle y est venue “par hasard”. « La langue des signes, je la voyais à la télé quand j’étais petite. J’ai toujours aimé les langues et la LSF m’a fascinée. Quand j’ai eu l’opportunité de l’apprendre une fois arrivée sur Paris, ça m’a tellement plu que je me suis dit il faut que je bosse là-dedans. »
Après avoir enchaîné deux maîtrises en Langues, littératures et civilisations étrangères (LLCE) — rien que ça ! — elle se destinait plutôt à être interprète anglais-allemand. Pas de regret de l’être au final en LSF: « C’est un métier extrêmement varié. Nous avons le diplôme d’interprète de conférence mais on est aussi ce qu’on appelle interprète communautaire, c’est-à-dire les interprètes qui interviennent pour les langues de diffusion plus rares, dans les commissariats, dans les écoles, dans les tribunaux, ou dans les hôpitaux. »
Elle obtient son diplôme en 2011, à Paris III. Cela lui permet également d’interpréter depuis l’anglais vers la LSF et vice et versa. Elle apprécie les sciences appliquées, l’informatique et le développement personnel.
Parmi ses missions marquantes, elle repense au premier enterrement où elle a été interprète. « C’était pour l’enterrement d’une grand-mère. Je me souviens que, pendant les musiques déprimantes, je me passais dans la tête « Back to black » d’ AC/DC pour contrer l’effet tire-larmes. Et ça a bien marché, d’ailleurs. J’ai réussi à ne pas me laisser submerger par l’émotion. » Peut-être une astuce pour les consœurs et confrères?
Autre situation insolite, une mission lors d’un permis bateau. « Je m’attendais à un cours ou une épreuve écrite donc je m’étais habillée en civil. Et en l’occurrence, j’étais en jupe-talons, parce qu’il faisait beau. Et là, je me suis retrouvée embarquée sur le bateau. C’était l’épreuve pratique du permis. A l’époque, je ne connaissais encore rien à la voile. Je me suis retrouvée sur un bateau moteur. Le formateur a été très intuitif, il a vite compris comment ça se passait. Il m’a demandé comment on dit freine, stop, à droite, à gauche. Puis, il a dit c’est bon, je vais gérer. Et moi, j’ai passé une heure à me promener et à profiter du soleil. »
Le bateau, c’est justement l’une de ses passions. Elle est monitrice bénévole à l’UCPA Croisière depuis cette année, une activité qu’elle apprécie en partie parce que cela lui permet d’ « exister pour elle » Elle ajoute : « C’est vrai que notre quotidien, ce n’est pas d’être invisible, mais de ne pas se mettre en avant, de se fondre dans la situation, de faire en sorte que, finalement, les gens oublient qu’il y a un interprète. Mais, c’est frustrant parfois, de ne pas donner son avis, donc, c’est sympa de pouvoir prendre une place autre. » On sait donc maintenant pourquoi elle a une appli météo hyper précise.
En plus du tennis, qu’elle pratique régulièrement, elle se passionne pour les jeux de société. Attention, pas le « Qui est-ce? » ou le « Touché Coulé ». Des jeux plus ambitieux comme « Seven Wonders », « Race for the Galaxy »…
Cindy bloque juste lorsqu’on lui demande son signe préféré. Elle promet d’y réfléchir pendant la séance photo. Avant de terminer l’entretien, elle livre une belle déclaration d’amour à son métier: « Au départ, j’étais attirée par le défi intellectuel. De pouvoir rendre en temps réel les propos d’une autre personne tout en restant fidèle à son intention. Et au final, en évoluant dans ma carrière, je me suis rendue compte que ce qui m’intéressait vraiment, c’était d’apprendre l’humain. On rencontre beaucoup de gens. On les écoute parler. Et ce qui est intéressant, c’est ce qui anime les gens. Pourquoi ils disent ça de cette façon-là ? Quelles sont les relations entre eux ? Ce sont des pans de vie. Les gens sont là, devant nous, avec des émotions. Il faut savoir gérer ça aussi. Il faut savoir tenir la main quand la personne se met à pleurer. Ça m’est arrivé, lors d’une consultation chez le médecin, où la petite dame a fondue en larmes. Ce qui est valorisant, c’est cette sensation d’être utile. »
On part faire les photos dans le Jardin du Luxembourg, particulièrement beau en cette dernière belle journée d’octobre. A la fin de la séance, ça y est, elle a trouvé son signe préféré. C’est « saisir ».