Clémence Pinguet-Monnet

« Jai un manteau rouge », prévient Clémence pour qu’on la retrouve au milieu des Halles. C’est vrai, au milieu de tous ces habits sombres, un manteau de couleur vive ressort immédiatement. Un premier signe de ce qu’on découvrira au cours de l’entretien : derrière une certaine réserve, Clémence cache un petit côté iconoclaste, presque facétieuse. 

La langue des signes lui est « un peu tombée dessus par hasard ». A l’origine, la jeune femme, qui a grandi et vit toujours dans le 77, se destinait plutôt à une carrière scientifique ou médicale. Sa mère est prof de maths. Comme son grand frère, elle suit la filière S du baccalauréat. Après un mini-stage chez une orthophoniste, elle envisage d’en faire son métier. Mais les choses ne se passent pas comme prévu : « Souhaitant préparer le concours dorthophoniste, je me suis inscrite à la fac de Paris 8 en cours préparatoire. Mais l’enseignante qui devait les dispenser est partie pendant ma L1 et n’a pas été remplacée. Le cours a été supprimé et j’en ai profité pour changer de projet. Comme il y avait des cours de LSF à Paris 8, je m’y suis lancé car c’était une langue qui avait l’air sympa. » 

Au même moment, la LSF s’impose à elle également, via la famille. Son petit ami de l’époque a en effet une grande sœur sourde. « Ce qui était super chouette, c’est que tous les repas dans sa famille étaient entièrement bilingues, raconte-t-elle. Sa grande sœur avait plus de 30 ans à l’époque. Elle avait suivi une scolarité en LSF, chose peu commune à ce moment-là. Sa maman tenait vraiment à ce que tout soit accessible chez eux. Un monde incroyable souvrait à moi parce que tout le monde s’exprimait en LSF et en français. »

« En parallèle, j’apprenais à la fac et mexerçais un petit peu chez moi, poursuit-elle. Du coup, je suis tombée amoureuse de la langue. Au début, je my suis initiée par souci de communication avec ma famille. Et puis après coup, parce que je trouvais que c’était une langue incroyable, qui était très belle ». 

Le parcours étudiant la mène à l’interprétariat : « J’ai commencé la langue des signes en L2. Et après, on pouvait se professionnaliser en passant le master. En fait, je me suis dit pourquoi pas en faire un métier finalement. » Le projet de devenir orthophoniste est définitivement abandonné. « Quand j’ai découvert la langue, je me suis découvert un monde, quelque chose qui me plaisait. », explique-t-elle. Celle-ci lui permet en quelque sorte de soigner sa timidité: « La langue des signes m’a permis de m’épanouir, de m’ouvrir un peu aux autres. Quand on traduit, on traduit pour quelqu’un. Ce n’est pas notre voix à nous. On prête notre voix à notre interlocuteur. On fait abstraction de sa personne. On adopte un personnage. Du coup, tout ce qui est personnalité, que ce soit la timidité ou d’autres traits personnels, on les met à part. On est plus libre. »

Pour elle, qui confie avoir toujours adorer se déguiser l’interprétation est « une forme de déguisement » : « Parce qu’on incarne une personne. Quand elle s’exprime, je trouve que c’est assez chouette. Et en plus, on peut incarner tellement de personnes différentes dans tellement de milieux différents. C’est riche. »

Voilà quatre ans maintenant qu’elle exerce son métier, à la fois comme indépendante et comme salariée dans un établissement scolaire : « Il y a un rapport avec les enfants qui est super intéressant. C’est enrichissant. Et puis, il y a tout un travail sur le long terme qui ne se trouve pas forcément quand on fait du one-shot quelque part. On n’a pas le retour, la progression. Je trouve que ça apporte une certaine liberté. »

Côté souvenir marquant, elle se rappelle un rendez-vous assez difficile avec une assistante sociale, une mère et son fils : « C’était une situation annoncée comme une réunion lambda. L’enfant avait sollicité le rendez-vous pour parler de problèmes à la maison. C’était une maman sourde, un enfant entendant raconte-t-elle. La maman a découvert au moment du rendez-vous tout ce que son fils pouvait vivre avec son père. Des choses de l’ordre de la violence. C’est une situation qui m’a marquée parce que je ne m’y étais pas préparée. » 

« Il y a des domaines que je ne faisais pas au début. Par exemple, le médical. Et puis, petit à petit, je me suis dit, pourquoi pas essayer une fois, deux fois. Si ça ne va pas, j’y reviendrai plus tard. » Elle ne s’interdit rien en tout cas. 

Depuis qu’elle travaille pour i LSF, elle a eu l’opportunité d’aller interpréter les soirées jeux de société dans les bibliothèques de la Ville de Paris et elle adore ça :  « Pour la férue de jeux de société que je suis, c’est une véritable aubaine ! L’ambiance est très agréable : on y travaille à 4 (c’est rare) et on switche d’une table à l’autre. C’est sportif mais c’est passionnant ! Le tout dans une ambiance ludique et décontractée. » 

Son signe préféré, c’est celui de la liberté : « Je le trouve beau. Parce que je trouve qu’on se libère vraiment de quelque chose même d’un point de vue corporel. Sinon, j’aime beaucoup celui de la confiance. C‘est un signe avec lequel on peut jouer. Il est beau et il évoque beaucoup de choses. »

Quand elle ne travaille pas, elle aime  « créer des trucs avec [ses] mains ». Lors d’une convalescence à cause d’une blessure, une amie vient la voir avec une machine à coudre. Elle s’y met : « On a commencé avec mon chéri qui est aussi assez manuel à créer des petites choses. Et là, au mois de décembre dernier, on a participé à un marché de Noël pour vendre nos petites créations, pour le plaisir. » « Mais ça, c’est 50% de son temps libre », précise-t-elle. Les autres 50% sont occupés par le badminton, qu’elle pratique en compétition. 

Pour la séance photo, elle pose d’abord de manière traditionnelle. Puis, en voyant un pilier, elle suggère qu’elle pourrait se cacher derrière et simplement passer une tête pour la photo. Cela lui ressemble plus, dit-elle. Facétieuse, on vous disait ! 

xavier héraud