Diana Allaume
Diana nous retrouve dans un café près de République, entre deux missions. Elle s’est levée à 4h du matin afin de prendre le train à Angers — où elle est installée depuis quelques années — pour venir travailler à Paris. « Je suis une des rares interprètes en langue des signes française (LSF) de langue maternelle non francophone. », nous lance-t-elle d’emblée.
En effet, Diana est née et a grandi en Bulgarie jusqu’à ses 18 ans. Là-bas, elle a étudié dans un lycée français, un peu par hasard. « Je voulais aller dans un lycée allemand, mais il fallait être très très bon en math et moi je suis nulle en math, raconte-t-elle. Mon score était juste suffisant pour aller dans un lycée français ou un lycée espagnol et j’ai choisi le français ». Sur les conseils de sa mère, elle a choisi de poursuivre ses études en France et d’y étudier la langue des signes. Lorsqu’on lui demande ce qui l’a attirée vers la LSF, elle répond en retour, avec un grand sourire, « Vous voulez la version officielle? », avant de nous donner une version dont on ne saura pas si elle est officielle ou officieuse: « Très petite, je voyais des interprètes en langue des signes à la télé et ça me fascinait. Et je me disais si tu sais faire ça, si tu sais communiquer avec les sourds, tu es comme un magicien. »
Le déclic se fait un peu plus tard, se souvient-elle: « J’ai rencontré une interprète en LSF à la fac. Nous sommes devenues amies. Elle avait des parents sourds. Elle m’a présenté sa famille et j’ai plongé là-dedans. » Pour Diana, l’apprentissage de la LSF s’apparente alors à une « vocation, de l’ordre de la fascination pour cette langue théâtrale et complètement différente de ce qu’on peut apprendre à l’oral. » Traduire la langue des signes dans une langue qui n’est pas sa langue maternelle était aussi un challenge personnel, ajoute-t-elle: « Je passe par le bulgare pour checker si ce que j’ai traduit dans ma tête est bon. C’est un peu difficile. Je me suis demandé si j’étais capable de faire ça, de produire quelque chose que l’autre va comprendre. Je me suis dit que si j’arrivais à faire ça, je pouvais tout faire. »
Son envie d’être interprète vient aussi de son expérience de vie dans un pays étranger. « Il faut toujours aller chercher l’autre et ça passe par la langue. Avec les sourds, si moi je deviens interprète, je deviens le lien entre ceux qui n’entendent pas et ceux qui entendent. Et quand je vois dans les yeux d’un sourd qu’il a compris ce que l’autre voulait dire, pour moi, c’est de la magie. L’interprétation est faite pour moi et je suis faite pour l’interprétation. » Pour elle d’ailleurs, le métier va au delà d’une simple traduction littérale, comme certains pourraient le croire: « L’interprétation, c’est aller chercher ce que la personne voulait vraiment dire. » Son signe préféré, c’est le [ je t’écoute avec les yeux ] : « Ça veut dire manga, mais ça peut aussi vouloir dire : je prends tout ce que tu me donnes, tout ce que tu me signes. »
Dans un métier avec des expériences très diverses, Diana, qui travaille pour i LSF depuis 2015 relate deux expériences professionnelles marquantes. La première était dans le domaine ésotérique. Elle qui s’intéresse beaucoup à la spiritualité et l’occultisme, a servi d’interprète à un chamane, à qui une famille sourde avait fait appel pour “nettoyer” leur maison parce que la petite fille avait vu un fantôme et elle avait peur. Dans un genre très différent, au début de son activité professionnelle, elle a également travaillé lors d’un accouchement. En intégralité.
S’imagine-t-elle faire une autre activité plus tard? « Je n’ai pas de plan B. Et je n’ai pas envie d’en avoir parce que j’adore ce que je fais. », lâche-t-elle tout de go. Après réflexion, elle ajoute qu’elle pourrait donner des cours en langue des signes de longboard dancing, de la danse sur un skate, qu’elle aime pratiquer en dehors de son activité professionnelle (elle mentionne d’ailleurs une séance mémorable au Louvre lors d’un coucher de soleil) . Mais pas question de cesser d’être interprète pour le moment. La magie opère toujours.