Eloïse Vittu
Eloïse Vittu, a su très tôt qu’elle voulait devenir interprète en langue des signes française (LSF). Mais il lui a fallu patienter un peu et déménager beaucoup.
Cette native de Brest n’a pas 10 ans lorsqu’elle se rend en librairie et tombe sur le livre « L’histoire d’Helen Keller », qui déclenche une évidence. C’est un coup de foudre. « Je me suis dit tout de suite : je veux être interprète en la langue des signes. Je voulais aussi l’être pour les personnes sourdaveugles, c’était mon objectif final. »
Elle apprend la dactylologie (l’alphabet en langue des signes), se projette, rêve déjà de travailler auprès de personnes sourdaveugles. Mais les choses en restent plus ou moins là. « C’est resté dans un coin de ma tête. Ce n’est pas quelque chose que j’ai mis tout de suite en avant parce que je ne connaissais aucune personne sourde et je ne connaissais pas du tout le monde des sourds. Je ne savais pas quelles études faire, comment faire, etc. Donc je suis partie sur autre chose. »
Elle s’oriente vers l’optique, poussée par ses parents, mais elle se rend compte que ce n’est pas fait pour elle. Pendant plusieurs années, l’envie d’être interprète reste présente. Alors elle passe un deal : elle termine ses études d’optique et, après, elle sera libre de faire ce qu’elle souhaite.
En parallèle de ses études, elle commence à côtoyer le monde des sourds. Elle achète des livres, apprend ses premiers signes et participe à des événements en lien avec la culture sourde. Elle se rappelle qu’elle « ne comprenait pas grand-chose, mais j’y allais ! »
Six ans plus tard, son rêve reprend toute la place. Elle déménage à Grenoble pour suivre une licence Sciences du langage. Elle travaille en parallèle de ses études pour subvenir à ses besoins et, surtout, payer les cours intensifs de langue des signes afin d’avoir le niveau requis pour entrer en Master.
Deux belles années de sa vie où elle se découvre à l’Université et où elle doit jongler entre sa vie étudiante et sa vie professionnelle. « Ce n’était pas facile, mais je me suis accrochée. »
Elle déménage à Rouen pour la dernière année de licence, avec une spécialisation « interprétation LSF », afin de se donner toutes les chances. Une fois la licence validée, elle entre à Paris VIII pour le Master Interprétation français / langue des signes française. Elle rate l’examen final une première fois mais rebondit. Tout en reprenant ses études l’année suivante, elle travaille dans un lycée pour accompagner des élèves sourds et pratiquer la LSF. Elle repasse son diplome en pleine pandémie… et réussit !
Elle enchaîne ensuite : tout en continuant le soutien scolaire au lycée, elle commence à travailler en faisant de la visio-interprétation pour Rogervoice où elle est salariée depuis 2021.
Puis, une fois que les élèves ont eu leur bac, elle quitte définitivement le lycée et décide alors de développer son activité en indépendante en parallèle de la visio-interprétation.
2022, nouveau déménagement et cap sur Angoulême. Cependant, il y a peu d’opportunités sur place. Elle doit donc faire des allers-retours à Paris qui l’épuisent, au rythme de trois jours par semaine, une semaine sur deux. Son QG lors de sa venue à la capitale ? Le Food Society de la Gaîté, où elle nous a donné rendez-vous pour ce portrait. Après 3 années à suivre ce rythme éreintant, nouveau déménagement avec la décision de venir s’installer en région parisienne pour retrouver un rythme plus compatible avec sa vie de famille.
Eloise n’en fait pas mystère, ce métier la comble. « Je me sens super bien. Chaque fois que je termine une prestation, je me dis que j’adore ce que je fais, j’adore aller partout, j’adore rencontrer plein de personnes. J’aime traduire, faire en sorte que la communication soit fluide pour tout le monde. D’autant que j’ai attendu longtemps pour faire ça. »
On lui demande alors ce qui lui plaît tant dans ce métier ? « J’aime bien que tout le monde soit à égalité. J’aime bien qu’il y ait de l’accessibilité et je n’aime pas qu’on laisse de côté des personnes. Je suis utile quand je fais mon travail. C’est un univers qui m’attire beaucoup, parce que les personnes sourdes ont leur culture, leur histoire, le côté visuel de la langue. Ce qui me plaît, c’est autant la langue des signes que l’acte de traduire. »
Aujourd’hui, elle s’épanouit particulièrement à traduire des cours à l’université : « C’est très intéressant, il y a tellement de matières. On traduit, mais on apprend aussi. » Elle se souvient d’ailleurs d’une belle rencontre : « j’ai revu une personne sourde que je n’avais pas vu depuis dix ans et à la fin de la prestation elle m’a dit : « C’est incroyable, comme ta pratique de la langue a évolué depuis la dernière fois qu’on s’est vues ! » Ça fait plaisir d’entendre cela après tout le chemin parcouru et les efforts consentis.
Quant à son objectif d’être interprète pour les personnes sourdaveugles ? « Pendant ma troisième année de licence, j’étais bénévole à l’ANPSA, l’Association Nationale des Personnes Sourdes et Aveugles. Au début, je participais aux événements pour les personnes sourdaveugles puis j’ai commencé à les organiser. Je suis également partie en séjour d’une semaine afin d’accompagner une personne sourdaveugle pour ses vacances. Sur place, cela ne s’est pas déroulé comme prévu, j’’ai eu une mauvaise expérience qui m’a freinée. J’ai préféré faire une pause et me concentrer sur l’interprétation en langue des signes. Ça reste tout de même dans un coin de ma tête, peut-être qu’un jour j’irai me former sur la langue des signes tactile. »
En dehors du travail, elle court, s’occupe de ses enfants… et vit sa passion pour Disney. Elle collectionne les tasses — 150 aujourd’hui — qu’elle arbore fièrement dans sa maison.
Ce n’est d’ailleurs pas totalement un hasard si elle s’est installée en Seine-et-Marne cet été, à environ vingt minutes du parc. Elle y va régulièrement pour y vivre sa passion et parfois elle va même y travailler comme interprète.
C’est ce qui s’appelle joindre l’utile à l’agréable !

