Frédéric Baron

Frédéric nous a donné rendez-vous place de la Contrescarpe, dans le Vème arrondissement. Le soleil de mai est chaleureux (pour une fois), lui aussi. S’il ne porte pas littéralement de casquette ce jour-là, dans sa vie professionnelle, il en a deux : comédien et interprète en langue des signes française (LSF). Avant de développer le sujet, il évoque rapidement son enfance à Paris, d’abord dans « le Châtelet pourri de l’époque, pas le Châtelet d’aujourd’hui », puis dans le XIXème arrondissement. Il part à l’adolescence et passe par Lille, Toulouse et Strasbourg, avant de revenir à Paris, où il vit désormais quand il n’est pas à Valence, en Espagne.

C’est à 14 ans qu’il découvre le théâtre, grâce à une prof de français. Une vraie révélation. Il en a une autre avec la LSF à peu près à la même époque. Il raconte : « Je travaillais dans une crêperie à Lille. Un mercredi après-midi, on est seuls avec le cuisinier. Moi je suis serveur. Il y a un groupe de 10-15 jeunes sourds qui rentrent. Et ça va dans tous les sens. Ça se marre, comme j’ai rarement vu des gens se marrer dans le restaurant. Au moment de prendre la commande, ils se moquent de moi. C’est très clair que je suis le petit jeune qui ne capte rien. Alors que pour eux, c’est limpide. Et vraiment je me dis que j’ai loupé quelque chose. Ces mecs ou ces filles, ça pourrait être moi. Il y a juste ce léger détail qui est là, la surdité. Et du coup la langue. Et je me dis waouh ! Il faut que j’apprenne cette langue un jour. C’est une évidence. Pas juste pour moi. Pour communiquer avec des gens qui sont proches de moi. »

Trois ans plus tard, il est de retour à Paris et il a une nouvelle rencontre avec la langue.  « Je travaille à l’hôtel Hyatt Regency à Paris Madeleine. Un jour, le big boss fait une réunion de personnel. On est beaucoup, dans une grande salle de réunion de l’hôtel. Et je vois quelqu’un qui agite les mains à côté du directeur. A ma gauche je remarque deux femmes qui ne regardent pas le directeur mais qui regardent très clairement l’homme qui agite les mains. Évidemment, si il y a une langue, il y a forcément un traducteur. Et je me suis dit : un jour je veux apprendre cette langue. Mais je veux aussi apprendre à la traduire. Ça pourrait être un métier qui me botterait. »

Mais il est alors engagé dans son cursus de comédien. Cursus qui l’emmène à Toulouse, l’un des « fiefs de la LSF », comme il dit. Il se renseigne sur les formations, mais « les prix sont rédhibitoires ». Il devient donc comédien, comme prévu. Mais l’envie de LSF ne le quitte pas et il y a 5 ans, de retour à Paris , il parvient enfin à se lancer : « Je suis intermittent du spectacle. Ça veut dire que j’ai de l’argent qui tombe tous les mois. J’ai un peu d’argent de côté. Et j’ai du temps. », explique-t-il. Par ailleurs, il ressent le besoin de faire de nouvelles rencontres, pour changer un peu des personnes qu’il croise dans le spectacle vivant.

Il suit une formation de 6 mois à Visuel LSF en deux temps. « Quand je rentre à Visuel je n’ouvre plus la bouche. Je n’utilise pas ma voix. Je me mets à fond. Et j’adore. Je ne me suis pas trompé quand je les ai rencontrés. Il y avait ce truc social, ce truc d’identification. Mais il y avait aussi cette langue qui est juste dingue. Et je découvre une culture. Et ça m’ébaudit complètement. » Il obtient son Master en 2021. Depuis, il conjugue ses différentes activités théâtrales avec l’interprétariat. Loin d’opposer les deux, il tente au contraire de les relier par autant de ponts que possible.

Ses domaines de prédilection, sans grande surprise: l’art et la culture. Il reconnaît se sentir moins à l’aise sur le médical, mais c’est là qu’il a eu une de ses expériences les plus marquantes : « On m’a prévenu au dernier moment. Le sujet de la conversation était de savoir si la personne qui était sourde et qui était sous respirateur désirait être ranimée ou pas. Il se trouve que c’était une personne qui n’avait pas l’habitude des interprètes. Le médecin s’y est repris à plusieurs fois pour être sûr qu’elle comprenait bien ce qui se disait. Je me suis remis en question parce que je me disais si ça se trouve je ne traduis pas correctement. J’ai eu des indices qui me laissent à penser que ça allait et surtout le patient avait une forme de déni quant à la situation. Puis quand lui-même a compris, il a simplement dit « mais moi je veux pas mourir ». Il s’est mis à pleurer, tout le monde s’est mis à pleurer. C’était perturbant mais finalement relativement naturel, la mort fait partie de la vie. »

A côté, il dessine (ou « apprend à dessiner », corrige-t-il) et joue aux échecs. Il se passionne aussi pour la littérature. Il rêve d’ailleurs de traduire des livres avec un traducteur sourd. « Dans toutes les traductions que je fais, il y a toujours un traducteur sourd dans le coin. Chacun son métier et chacun sa langue première. J’y tiens vraiment très fort. » Il aimerait en particulier traduire des romans, « comme des audiolivres, mais version LSF ». « C’est hyper décourageant, je pense, et pour le traducteur, et pour le lecteur/auditeur, parce qu’en fait, c’est long. Traduire Crimes et Châtiments, quelle bonne idée! Mais qui va se fader les 16 heures de vidéo ? »

Avant de terminer l’entretien, il tient à revenir sur un souvenir qui lui tient particulièrement à coeur. Peut-être parce que c’était l’une des premières expériences qui lui ont permis de concilier son amour du théâtre et celui pour la LSF.

Il se rappelle avoir été invité au Congrès mondial des Sourds à Paris, alors qu’il était en formation LSF. « C’était pour participer au spectacle d’ouverture. Parce qu’il y avait pour la première fois de l’histoire des congrès, un spectacle d’ouverture. Et j’ai été pris, comme danseur. J’étais ravi. On se voyait une fois tous les deux mois, un groupe de 15, 20 personnes. Et on allait créer une chorégraphie de danse. Ensuite, on rejoignait les chansigneurs et les comédiens. Parce qu’en fait, il y avait deux comédiens principaux qui racontaient une petite histoire autour des sourds à Paris, qui était agrémentée de chansignes, de chorégraphie et de danses. J’étais parmi les trois entendants. Les deux autres étaient interprètes. Je me suis éclaté et j’ai rencontré la fine fleur du théâtre en langue des signes française. Et ça, c’était vraiment une p**** de bonne expérience. »

xavier héraud