Inès Lorrette-Riberolles

Si vous lisez ce portrait entre avril et septembre (2024), ne cherchez pas Inès autour de vous. Elle est en train d’arpenter l’Europe à vélo. Quelques semaines avant son départ, nous avons pu la rencontrer pour parler d’elle et de son métier. Un peu nerveuse à l’idée de se prêter à l’exercice du portrait, elle nous a donné rendez-vous dans un lieu où elle se sent à l’aise, le café de la salle où elle pratique l’escalade, dans le Xème arrondissement. 

Après une enfance en Normandie, Inès part à 12 ans en Charente-Maritime. Elle se destine d’abord à des études scientifiques, mais en terminale S, elle se rend compte que finalement elle n’est pas faite pour ça. Virage à 180 degrés: l’année suivante, elle s’inscrit à la fac de lettres de La Rochelle. Avec une vingtaine d’heures de cours par semaine, elle a désormais du temps libre. « Cest vraiment le moment où je me suis posée, où j’ai pris le temps de réfléchir à ce que je voulais faire, explique-t-elle. Depuis mes 12 ans, j’avais envie d’apprendre la langue des signes parce que, par hasard, j’avais aperçu un groupe de sourds dans le premier collège où j’étais. Et ça m’avait fascinée pour le côté visuel, artistique, presque théâtral, un peu l’idée qu’ont beaucoup d’entendants de cette langue. »

Cela l’amène à Poitiers, où elle a repéré une université qui propose des cours de LSF. « Ça a été la découverte d’une langue et de la culture, de l’histoire qui vont avec, explique-t-elle. J’ai eu un super prof de langue des signes, qui nous a transmis la passion de la langue et des cours de linguistique, d’histoire de la culture sourde. »

Elle y fait la rencontre de celui qui va devenir son meilleur ami. Lui sait qu’il veut devenir interprète Français-LSF. Elle va suivre son chemin, qui l’emmène au Master de Paris VIII. Elle se retrouve rapidement confortée dans son orientation  : « Dès les premiers stages que j’ai fait en Master, j’ai su que c’était le bon choix et que c’était ça que je voulais faire sans hésiter. »

Diplômée en 2020, Inès commence par du salariat, avant de devenir indépendante en travaillant notamment pour l’Agence i LSF. Elle complète aujourd’hui ses missions en freelance avec un statut de vacataire à l’Institut National des Jeunes Sourds. 

Dans sa pratique professionnelle, elle reconnaît éviter les maths et les sciences et apprécie en revanche les missions lors de formations:  « J’ai l’impression d’apprendre plein de choses en même temps. On travaille, on est formés aussi. » Elle a cette jolie formule: « formée en tout, diplômée en rien ». Ce qui est sans doute mieux que l’inverse! 

En quatre années de métier, elle se rappelle tout particulièrement d’une mission d’une semaine lors d’un camp d’astronomie: « C’était génial parce qu’on était hébergés sur place. C’était un rythme particulier nos journées commençaient à midi et on finissait, officiellement à minuit, mais en réalité on restait sur ce qu’on appelait le champ où il y avait tous les télescopes, la bâche pour faire de l’observation à l’œil nu, aux jumelles. Et on faisait presque partie de la formation. J’ai eu l’occasion de voir les anneaux de Saturne, les satellites qui tournent autour de Jupiter. Je les ai vus dans un télescope et en plus c’était sur un camp où on était bénévoles, même les formateurs. Du coup il y a vraiment juste le plaisir de partager la connaissance. On était une équipe de quatre interprètes. On avait préparer en amont au maximum tout le vocabulaire qu’on ne connait pas forcément dans ce domaine-là. C’était super intéressant. »

Elle n’a pas forcément de signe préféré, mais un signe qui lui est assez cher : « J’ai changé de prénom en langue des signes parce que quand j’ai commencé la langue des signes, il s’avère que parfois je me déconcentrais assez facilement en cours » Elle fait le signe de cerveau, puis celui du cerveau qui se déconnecte. « Ça a été mon prénom en langue des signes jusqu’au Master, poursuit-elle. Et là on m’a dit, un interprète qui s’appelle « cerveau déconnecté », ça ninspire pas la confiance, il va falloir trouver autre chose. Du coup on m’a attribué un autre signe. Mais j’ai une affection particulière pour ce premier signe. »

On en vient finalement à parler d’une autre chose qui lui est chère : l’escalade. « C’est un super sport que je conseille à tous les interprètes, indique-t-elle. Parce qu’on est une profession où on est assez sujet aux troubles musculo-squelettiques, au niveau des bras, des épaules, des coudes. »

Elle se rappelle justement qu’en sortant d’une mission, au début de sa carrière, elle s’est retrouvée « un lundi soir à ne plus pouvoir faire [sa] vaisselle, parce que l’évier était trop haut, et que ça [lui] faisait mal aux épaules. »
« Là, je me suis dit, on est lundi, j’ai encore toute ma semaine à traduire, je ne sais pas comment je vais faire. », se souvient-elle. En vacances, son meilleur ami lui conseille alors de faire de l’escalade. « Ça a sauvé mes épaules. Et depuis, j’en fais assez régulièrement, avec des amis sourds notamment. Ce qui est assez drôle, parfois, quand il faut communiquer que la personne est sur le mur, et qu’on ne peut pas lui parler. Donc, quand j’ai besoin de demander un conseil, je suis accrochée au mur, je tourne la tête, et j’essaye de signer avec ma main, sans tomber. »

Quand elle ne travaille pas ou qu’elle ne grimpe pas à une paroi, Inès aime aussi dessiner, et bien sûr faire du vélo, d’où l’idée de se lancer dans un périple qui l’amènera de l’Italie à l’Allemagne, en passant par la Grèce, la Macédoine, la Hongrie et l’Autriche. 

Un beau road-trip pour pouvoir se déconnecter, et pas seulement le cerveau !

xavier héraud