Ludivine Guignot
Ce n’est peut-être qu’une impression, mais Ludivine semble mener sa vie à un train d’enfer. Quasi littéralement, d’ailleurs. On la rencontre la veille de son départ au Hellfest. La jeune femme joue en effet de la basse avec les Fallen Lillies. Le groupe, uniquement féminin (ce qui est rare dans ce milieu-là), doit s’y produire durant le week-end. Mais ce n’est pas le sujet du jour. Aujourd’hui, nous parlons de son métier, interprète en langue des signes.
Attablés à Montreuil, sur une terrasse place du Marché de Croix de Chavaux, au pied du métro, nous évoquons d’abord son parcours universitaire.
Originaire de Montbéliard, dans le Doubs, elle a rencontré la langue des signes française (LSF), comme beaucoup, « un peu par hasard », à la fac à Strasbourg. « Je faisais des études pour devenir interprète en langue vocale (anglais et espagnol). Lors de la semaine du handicap, je suis tombée sur des stands dans l’université. Il y avait des stands « braille », « fauteuil » et un atelier « langue des signes ». J’y suis allée. C’était une personne sourde qui animait l’atelier et c’était hyper déroutant. Il fallait trouver des stratégies pour communiquer alors que tu ne sais absolument rien. Ça n’a duré qu’une dizaine de minutes, mais ça a éveillé quelque chose en moi. J’ai commencé à acheter des manuels de langue des signes, à regarder des séries où il y avait de la langue des signes. Après, j’ai pris des cours à Paris, en semaine intensive. Puis j’ai plongé dans le milieu et je ne suis jamais ressortie. »
Après avoir étudié la langue dans des organismes privés, elle s’inscrit au Master de Paris VIII, dont elle sort diplômée en 2016. Elle travaille rapidement sous le statut de micro-entreprise puis en 2019 elle se décide à créer sa propre entreprise, Verbateam Interprétation, tout en collaborant régulièrement avec i LSF. Grâce à sa formation initiale en anglais, elle peut également faire des missions anglais-LSF.
Huit ans de pratique de l’interprétariat, ça donne quoi ? « Toujours le même intérêt, la même passion, des prestas complètement farfelues, diverses et variées. », répond-elle. On lui demande un exemple de presta farfelue : « Ce n’est pas si farfelu, mais tu te retrouves dans des situations de vie complètement hallucinantes. J’ai fait le rendez-vous d’un petit garçon qui s’inquiétait de la taille de son zizi chez un urologue. Tu dois interpréter « moi, je viens vous voir parce que j’ai un petit kiki » et à côté de ça, j’ai récemment interprété le compte-rendu du conseil des ministres à l’Élysée… Deux salles, deux ambiances ! »
« L’exercice mental est toujours aussi passionnant, et ça, ça ne change pas en huit ans. Aucun ennui. », ajoute-t-elle avant de confier que dans l’exercice du métier « tout ce qui est culturel » lui parle davantage. Elle illustre son propos : « Ce que j’adore faire, ce sont les visites des commissaires d’exposition aux futurs groupes de conférenciers. Tu as accès à un commissaire qui a créé, qui a conceptualisé son expo, qui parle à un guide-conférencier qui est censé avoir les mêmes connaissances en termes d’art, donc ça donne des échanges passionnants. Et tu te rends compte que quand nous, à titre privé, nous faisons des visites guidées, il y a quand même une sacrée vulgarisation qui est faite, parce que quand ils discutent entre eux, c’est pas du tout ce qu’ils disent. »
En dehors du travail, elle pratique la boxe thaï, le Jujitsu, le skate, l’escalade, le surf… Ça en fait des activités ! « On dit souvent que je suis Golden Retriever, j’ai un petit côté hyperactif », plaisante-t-elle.
Avant de passer à la séance photo, elle glisse qu’elle est censée travailler lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques (nous sommes fin juin), mais que c’est encore confidentiel. Puisque le portrait ne sera publié qu’après, on a recontacté Ludivine pour qu’elle nous donne son retour d’expérience : « C’était vraiment une expérience unique de travailler sur un événement de cette ampleur avec une équipe mixte sourd/entendant. On avait bien bossé les discours, tout était calé ! On a été retransmis sur les écrans mis en place dans tout Paris. Dommage que les télés françaises n’aient pas repris notre interprétation des discours. Aucune accessibilité à la TV sur cet événement, c’est déplorable vu que les moyens avaient été déployés pour avoir une accessibilité au top. Un classique hélas. »
Un sujet qu’elle abordera peut-être au sein de l’association française des traducteur.ices et interprètes en langue des signes (AFTILS). Très engagée pour la profession, elle fait maintenant partie de son Conseil d’administration. Une corde de plus à son arc, ou, qui sait peut-être à sa guitare basse…