Lathifa Mazouz

Coda : nom féminin, Conclusion d’un morceau de musique. Mais « Coda » est aussi un acronyme pour « Child of Deaf Adult », enfant né de parent(s) sourd(s). C’est le cas de Lathifa, dont les deux parents sont sourds. Elle a grandi à Drancy, en Seine Saint Denis, avec ses deux sœurs. Toutes trois sont entendantes.

Elle raconte: « Mes parents ont grandi à une époque où la langue des signes n’était pas vraiment permise. Son enseignement était interdit. Mon père est né en Algérie, colonie française. Donc la langue des signes était, de ce que j’ai compris, une langue des signes française mais avec des particularités algériennes. Ma mère est née et a grandi en France. Mais ce n’était pas comme aujourd’hui. Il n’y avait pas d’enseignement de la langue des signes.  Donc la langue des signes qu’on pratiquait à la maison n’était pas une langue des signes très académique. »

Elle se destine à des études artistiques, mais les incertitudes liées à ce secteur lui font peur. Interprète, alors? Après tout, c’est déjà ce qu’elle fait au quotidien avec ses parents. En tant que « coda de base », elle pense que se former à ce métier-là sera facile. Erreur! « Parce que ma langue des signes n’était vraiment pas au point. Et j’ai dû prendre des cours de langue des signes malgré tout », explique-t-elle. Ses parents ne l’encouragent pas vraiment dans cette voie. « Ils pensaient que je ne ferais pas forcément une bonne interprète. Parce qu’avec eux, ça pouvait être un peu compliqué. Et puis aussi, ils avaient des retours de gens qui connaissaient des interprètes. Et qui disaient que c’était un métier difficile et ingrat. »

Elle obtient son diplôme en 2006 et rejoint i LSF vers 2017-2018. Avec l’expérience est-ce un métier difficile et ingrat, finalement? « Oui, interprète en langue des signes peut être un métier difficile. Mais moi, j’y trouve plus d’épanouissement que de difficulté », répond-elle. Ça lui permet d’apprendre encore plein de choses, mais pas seulement. Elle revient sur une expérience forte, lors d’un stage pendant ses études. Elle devait traduire des rendez-vous médicaux « Il y avait un monsieur qui avait un glaucome, à qui on disait qu’il allait falloir arrêter de conduire. Et une petite fille avec son père. On était dans la salle du médecin. A un moment donné, le médecin part. Et le papa se retrouve seul avec sa fille. Il nous a demandé de traduire pour pouvoir communiquer avec elle. Il ne connaissait pas la LSF. Et en fait, il y avait trop d’identification avec mes parents. Je m’imaginais que pour mon père, si on lui annonçait aussi qu’il ne pouvait plus conduire, ce serait terrible. Et l’histoire du père qui ne savait pas communiquer avec sa fille, c’était la situation de ma mère. Du coup, à la fin des rendez-vous, j’étais en face de ma tutrice et je me suis mise à pleurer à chaudes larmes. » 

Quinze ans plus tard, la simple évocation de souvenir l’émeut encore beaucoup. L’épisode lui permet d’identifier ses limites en tant que coda: « Donc le médical, ce n’était pas possible. Cest pour ça que je préfère les formations ou les conférences. Moins d’émotions en ce qui me concerne. »

« L’autre jour, j’ai entendu quelqu’un dire qu’on choisissait son métier pour réparer quelque chose de son histoire, poursuit-elle. Aujourd’hui, je me dis que c’était peut-être pour ça. Être l’interprète de mes parents, ce n’était pas quelque chose que j’ai forcément aimé. Et qui m’a été imposé. Mais ça n’a rien à voir avec ce que je fais aujourd’hui en tant qu’interprète. Là, ma place est beaucoup plus claire. »

Si pour elle, sa place est claire, elle ne l’est pas forcément toujours pour ceux avec qui elle peut exercer. Une anecdote l’a beaucoup marquée: « Une fois, je traduisais un rendez-vous avec une psy. Et j’avais devant moi un adolescent et une dame avec lui. Moi je pensais que c’était sa mère. Mais pendant l’entretien, je m’aperçois qu’on parle d’une maman à l’étranger. En fait, j’étais la seule à ne pas être au courant.  Et donc à un moment donné, j’ai fait « attendez pardon, il y a quelque chose que je ne comprends pas ».  Et c’est là que tout le monde a réalisé,  ah mais oui, c’est vrai, pardon. En fait, la dame qui était avec lui, ce n’était pas sa mère, c’était sa grande sœur. Il vivait avec elle et était en rupture avec ses parents qui étaient à l’étranger. Moi j’étais complètement perdue là-dedans. On m’avait dit, rendez-vous en parent avec un enfant. Je m’étais mise dans une certaine configuration. Ça m’a marquée. »  

Lathifa n’a pas un signe préféré, mais trois. « Épanouissement », « suspens » (elle montre la goutte de sueur qui descend du front) et « charme ». Quand elle ne travaille pas, elle pratique la danse et le chant. Son style préféré: le jazz.  On termine le rendez-vous par des photos sur le canal Saint-Martin. Le soleil d’octobre vient réchauffer cette journée jusqu’ici un peu fraîche (et la couleur des photos!). Comme une agréable coda à une belle après-midi d’automne. 

xavier héraud