Laura Brossard

Laura avait une prestation à Paris VIII ce matin. Mais comme souvent au cours de l’hiver, des étudiant·es bloquent l’université et sa prestation est annulée. Elle a donc fait tout le trajet depuis le 95, où elle a grandi et vit toujours, « entourée de vaches et de champs », pour rien. Enfin, pour rien, pas tout à fait, puisqu’elle a pris le temps de nous parler de son parcours qui l’a conduit au métier d’interprète en langue des signes, attablée dans un café de Saint-Denis. 

Tout a commencé lorsqu’elle était enfant. Ses parents avaient des amis dont le fils était sourd. Elle raconte : « Je pense que je devais avoir 8 ou 9 ans, il avait peut-être 6 ou 7 ans, donc en fait, on a vraiment grandi ensemble. C’était un sourd signant. C’est lui qui m’a appris la LSF. Et dès 10-12 ans, je savais que je me dirigerais vers un métier avec de la langue des signes. » Elle voit d’ailleurs toujours celui qu’elle considère comme son cousin. 

Elle a découvert le métier en regardant une interprète à la télé, mais au fond, elle était déjà interprète — « à [son] niveau » — lors des repas de famille. Faire une carrière professionnelle dans ce domaine relevait donc de l’évidence. Mais au lycée, alors qu’elle suit un bac STG option compta, elle découvre que « bizarrement », elle adore le monde de la comptabilité. On tente de l’orienter sur cette voie. « J’ai eu un rendez-vous avec ma professeure principale, qui était la directrice du lycée, et qui m’a dit : “Non mais Laura, la langue des signes, ce n’est pas fait pour toi, va dans la comptabilité.” Et moi, je suis plus du genre, si on me dit de faire quelque chose, je fais l’inverse. Donc, comme elle essayait de me forcer la main pour faire un BTS de compta, moi je suis partie de l’autre côté. J’ai suivi ma voie jusqu’au master d’interprétariat à Paris VIII. »

Diplômée en 2018, elle fait deux ans de salariat. Cela ne se passe pas très bien. « Je me suis dit je ne veux plus personne au-dessus de moi, mais je venais d’acheter ma maison. Avec un crédit, être à son compte à 100 %, c’est un peu dangereux », indique-t-elle. Elle marque alors une pause côté interprétation et se lance dans un BTS comptable en alternance : « J’ai été alternante pendant un an et après on m’a embauchée dans le cabinet comptable où j’ai fait mon alternance. Je faisais deux jours d’interprétation et trois jours de salariée en tant que comptable. Et après, rebelote, ça s’est mal passé avec le dirigeant de l’entreprise et je me suis dit : terminé, je ne veux plus de patron. » Elle saute le pas et partage maintenant sa vie professionnelle entre l’interprétation et une activité d’aide administrative. 

Alors, qu’est-ce qui lui plaît au fond dans le métier d’interprète ? « Le métier m’a vraiment intéressée dans le sens où la personne qui interprète ce n’est pas Laura. Je suis quelqu’un d’extrêmement timide. Si on ne me parle pas, je ne vais pas aller vers la personne ; si on ne m’aborde pas, je ne suis pas fermée, mais je ne suis pas à l’aise. Mais quand j’ai la casquette d’interprète, ça ne va pas me déranger de traduire devant un amphi de 300 personnes parce que ce n’est pas moi. Par contre, moi, parler devant un amphi de 300 personnes, je n’y arriverais pas. »

Aujourd’hui, elle travaille régulièrement pour l’Agence i LSF, pour Paris VIII et apprécie en particulier de travailler sur des formations et dans le domaine universitaire : « On apprend vraiment tous les jours. Une formation est égale à une connaissance. Après, ça demande une vraie préparation. Mais ce qui me plaît aussi dans le métier, c’est justement le fait de découvrir tous les jours de nouvelles choses. »

Laura se rappelle avoir interprété lors d’un mariage où la majorité des convives étaient sourds. « J’ai davantage traduit vers le français, ce que j’ai moins l’habitude de faire. Ca renverse un peu ce que je fais habituellement, dans le sens où souvent on a une majorité d’entendants et une ou deux personnes sourdes. Là, vraiment, d’avoir 70 personnes sourdes et 10 personnes entendantes, franchement, ça m’a fait plaisir. C’est bien parce que souvent les entendants disent : “L’interprète, il est là pour la personne sourde.” Non, il est là aussi pour les entendants, pour que, lorsque les personnes sourdes signent, vous puissiez les comprendre. Là, ça s’est vraiment vu. Si on n’avait pas été là avec ma collègue, ils n’auraient pas pu profiter de la cérémonie, ni de la fête. »

En revanche, précise-t-elle, « je suis maman depuis un an, c’est vrai que maintenant, je remarque que les prestations avec les enfants ou les situations difficiles pour les enfants, c’est un peu plus compliqué pour moi de traduire. »

Son signe préféré, c’est [Tortue de mer] : « Ne me demandez pas pourquoi, je n’en sais rien. Je trouve que les pouces qui tournent comme ça, là, c’est très imagé. Je l’utilise rarement, mais quand je le fais, je suis contente. » Elle apprendra peut-être ce signe à son fils, avec qui elle signe régulièrement. « Tous les matins, je coupe ma voix et je signe avec lui. C’est notre rituel. » Le bambin semble déjà avoir compris l’essentiel, puisqu’il signe [gâteau] et [encore]. Pour le reste, précise-t-elle, « il ne va pas forcément reproduire le signe, mais je sais qu’il le comprend. Parce que, par exemple, je vais faire [eau] et il va tourner directement le regard vers son biberon d’eau. Donc, il le comprend. »

En dehors du travail, elle adore la musique et va à beaucoup de concerts : « J’aime tous les styles de musique sauf le rap et le jazz. Et on ne pourrait pas croire, mais je suis une grosse fan de metal. » Elle cite les groupes Linkin Park, Sum 41 ou Mumford and Sons. Mais elle écoute aussi des compositeurs de musiques de films, comme Hans Zimmer.

Avant de terminer l’entretien, elle revient sur ce que lui a apporté la LSF. « Cela m’a apporté une certaine confiance en moi. Quand je compare avec l’époque où j’étais une jeune diplômée, je me torture moins. » Et le fait d’exercer en parallèle son activité d’aide administrative lui apporte un équilibre. « Les deux passions de ma vie sont parfaites, résume-t-elle. Parfaites, c’est peut-être un grand mot. » Après une pause, elle reprend : « J’y trouve mon compte. On va dire ça comme ça. »

xavier héraud