Maria Giarratana
Maria Giarratana nous a donné rendez-vous dans un restaurant italien du Xème arrondissement. Un choix qui n’est pas totalement le fruit du hasard, puisque Maria fait partie du club fermé des interprètes en langue des signes française (LSF) dont le français n’est pas la langue maternelle. Elle est née et a grandi à Palerme, en Sicile. Près de chez elle, il y avait une école pour enfants sourds.
« Je les voyais signer entre eux et j’étais complètement fascinée par cette langue, raconte-t-elle. Je me suis dit « moi aussi je veux l’apprendre et discuter avec eux ». Mais cela m’est sorti de la tête car je ne savais pas du tout comment procéder ».
La langue se rappelle à elle un peu plus tard. Alors qu’elle fait ses études en Sciences de l’Éducation, une amie lui signale que dans l’école à côté de chez elle on organise une formation pour les Assistants de Vie Scolaire et qu’il y a des modules de langue des signes : « J’ai saisi la balle au bond et je me suis dit, il faut absolument que j’y participe, même si j’étais à deux doigts d’avoir ma licence en Sciences de l’Éducation. Donc, je me suis inscrite à cette formation et j’ai commencé à apprendre la langue des signes italienne ».
« C’était une évidence pour moi la langue des signes, confie-t-elle. J’avais vraiment soif de la connaître, d’apprendre les signes et puis j’ai eu des professeurs qui m’ont fait aimer cette langue, j’ai adoré cette formation, on nous racontait des blagues en langue des signes, j’ai découvert le monde des sourds et que je pouvais communiquer avec eux. A la fin de cette formation, j’en ai entamé une autre pour devenir interprète en LIS ». Elle pratique également le théâtre en langue des signes et le chansigne qui l’aident à progresser.
Hélas le métier d’interprète en langue des signes offre peu de débouché dans le sud de l’Italie. Elle sait qu’elle devra quitter sa région natale, pour le nord ou ailleurs.
Son frère, qui vit déjà en France, l’aide et l’encourage à trouver son chemin d’interprète en LSF. Elle débarque à Paris en septembre 2015, elle a alors 23 ans.
« J’ai commencé à travailler avec l’objectif d’intégrer le Master. J’ai essayé Paris 3 et Paris 8. C’est à Paris 3 que j’ai été retenue mais j’étais consciente que je devais faire beaucoup plus d’efforts que les autres étudiants puisque le français n’était pas ma langue maternelle ».
Du français, elle ne possédait jusqu’ici que quelques connaissances scolaires. Elle doit donc apprendre la langue de Molière et la LSF en même temps. Le soir, pour gagner sa vie, elle travaille dans un fast-food.
La journée, elle suit une formation en LSF. Heureusement, elle ne part pas de zéro : « Ce qui était bien c’est que j’avais déjà un bagage en langue des signes italienne, j’avais déjà les bases (la structure de la langue, sa grammaire) donc je me servais un peu de ce bagage-là pour pouvoir prendre des signes en LSF et à partir de là je me posais toujours la question de l’équivalence en français. Donc si le signe est celui-là quel est le mot correspondant en français. C’est comme ça que j’ai appris le français ».
Elle obtient son Master en 2019, dans la douleur, mais avec l’aide d’une collègue et amie, Anne-Sophie, qui l’a prise sous son aile pour l’aider à surmonter les épreuves les plus difficiles pour elle. Après le diplôme, elle travaille dans le médico-social. « C’était auprès des élèves sourds dans un lycée. Je suis éducatrice à la base, je n’avais pas le même rôle auprès des élèves, mais traduire pour les jeunes c’était un enjeu important pour moi, c’était motivant ».
Après cette expérience, elle se met à son compte et rejoint l’équipe d’i LSF, et en parallèle un service de relais-téléphonique en visio-interprétation.
Elle qui a été élevée dans le milieu catholique exerce beaucoup dans le domaine religieux : messes d’enterrements ou mariages. « C’est un domaine qui m’épanouit beaucoup, je pense que c’est aussi pour ça qu’aujourd’hui je suis interprète ».
Le travail a même exercé une influence inattendue sur sa vie personnelle. Un jour elle est contactée pour intervenir en tant qu’interprète pour la retraite spirituelle d’un couple. « C’était 2020, on sortait du confinement. J’ai eu le message d’une personne qui travaillait au diocèse de Paris me demandant si j’étais disponible pour traduire cette retraite sur une semaine ».
Maria hésite puis se lance. « Ce couple-là avait vraiment besoin que je traduise pour eux. J’ai dit oui, et ce que j’ai reçu en échange c’était bien plus de ce que j’avais donné en disant oui… C’était costaud bien sûr, étant seule. Mais c’était très épanouissant parce que pendant les temps d’enseignement, je traduisais et ça résonnait en moi – « mais ça c’est moi ». J’avais beau prendre de la distance, ça a tellement travaillé dans mon cœur que j’en ai vu les fruits aussi dans ma vie. Depuis, je suis devenue amis avec ce couple, ils m’ont demandé de traduire leur mariage et je l’ai fait avec grand plaisir. Une belle amitié a vu le jour ».
Plus récemment, elle a aussi beaucoup apprécié une mission en langue des signes tactile pour un étudiant sourdaveugle, une très belle découverte.
En dehors de son travail, elle s’occupe, avec son mari, de ses enfants qui ont deux ans et demi et quinze mois. Quand elle le peut, elle adore prendre du temps pour elle et pour ce qu’elle aime, prendre un café avec une amie, se consacrer à ses nouveaux projets. Elle apprend la couture, le tricot et un jour se remettra à la guitare. Elle pratique le chant au sein d’une chorale à l’Église, avec la Mission catholique italienne.
En réfléchissant à son parcours, Maria souligne l’importance du soutien de ses parents, de son frère et sa belle-sœur, de son mari, de ses amis et camarades de Master, des collègues, des professeurs qu’ont cru en elle et qui l’ont encouragée (« …ça va marcher ! »). Elle se rappelle quand ses amis lui ont offert une clé USB avec tous les classiques du cinéma français type Les Visiteurs, Le Diner de Con (film qui l’a beaucoup amusée !), etc. pour qu’elle comprenne les blagues et les références qui y sont souvent faites.
Elle ajoute que le scoutisme, qu’elle a pratiqué dans sa jeunesse, l’a aussi beaucoup aidée. « Le scoutisme m’a transmis la résilience. Je me suis déconstruite totalement pour me reconstruire. Ça ne m’a pas fait peur, justement. Me former comme interprète c’était un peu comme monter sa tente pour la nuit, puis la démonter le lendemain, sac au dos et être en route avec le sourire, tous les jours… Jusqu’à atteindre le sommet. Là, la vue vaut tout l’effort fait ».
