Maximilien Lenglart
« Je suis le premier interprète homme [pour la série de portraits] ? », lance Maximilien d’emblée. Affirmatif ! Et on a donc des questions à lui poser à ce sujet. Mais avant ça, on va s’intéresser à ce qui l’a conduit à ce métier, interprète en langue des signes française (LSF) qu’il exerce maintenant depuis deux ans. Le chemin n’a pas été simple, mais il lui a permis aujourd’hui d’être épanoui et d’aimer ce qu’il fait. Et surtout, le métier d’interprète en langue des signes française lui a offert une belle revanche sur la vie.
« Depuis tout petit, j’ai un trouble anxieux, commence-t-il. C’était un peu handicapant. À un âge où tout le monde prend le RER, tout le monde sort, moi, c’était des choses qui me bloquaient totalement. Aller dans des lieux publics, aller dans un café, je ne pouvais pas, c’était impensable. Jusqu’à l’âge de 21 ans c’était assez gênant. Il y a eu des progrès au fil des ans, mais assez lents. Et ça m’a rattrapé avec les études. Je me suis inscrit en droit alors que je n’aimais pas ça. Je ne pouvais pas imaginer m’en sortir. Alors je suis resté jusqu’au bout. »
La goutte d’eau qui fait déborder le vase, c’est le stage. Il se passe mal, très mal. « La pire période de ma vie. », se souvient-il. Il abandonne le stage et les études après 5 ans de droit et un Master 2 en poche et rentre à la maison pour reprendre des forces. Poussé notamment par un père impatient, il doit trouver une nouvelle orientation.
Fort d’un excellent niveau en anglais, il envisage de faire de la traduction, puis se ravise : « Je me suis renseigné et la traduction c’est un peu bouché, surtout si tu ne parles que deux langues. » Puis un jour c’est la révélation : « Je pense que j’étais en train de lire un livre dans lequel il y avait des soldats qui faisaient des signes. Ce n’était pas de la langue des signes mais ça m’y a fait penser. Et je ne sais pas pourquoi, je me suis dit, quitte à essayer quelque chose, je vais chercher des formations. J’en ai parlé à mes parents, ils ont trouvé ça très bien comme idée. »
Il repère l’Académie de la Langue des Signes Française. Son père l’aide à surmonter ses angoisses pour s’inscrire. La formation qu’il suit est intensive, six heures de cours par jour. La plupart des étudiants ne font qu’une semaine ou deux, lui reste plusieurs mois : « Par chance j’avais un soutien financier de mes parents, et je n’avais rien d’autre à faire. Certaines semaines, j’étais tout seul avec les formateurs. » Il progresse donc rapidement : « quand on était juste moi et les formateurs, on pratiquait, on discutait et ce sont eux qui m’ont parlé du métier d’interprète en langue des signes ».
Son objectif avec l’apprentissage de la langue des signes, c’était d’abord de travailler avec des enfants sourds, puisqu’il adore s’occuper des enfants. Parallèlement, l’idée de devenir interprète fait son chemin et il finit par s’inscrire au concours d’entrée de l’ESIT, l’École Supérieure d’Interprètes et de Traducteurs.
À son arrivée, c’est le choc des cultures. « C’était un monde dont je n’avais pas l’habitude. Je venais du droit, d’un cadre très normé, j’ai découvert des interlocuteurs et des points de vue très différents. Mon sens de l’humour, mes sensibilités, rien ne passait. C’était une expérience un peu particulière. Mais malgré cela, assez fun. »
Il faut aussi un petit temps d’adaptation du côté des études : « Je me sentais vraiment nul par rapport aux autres qui en avaient fait depuis plus longtemps. j’avais du mal à sortir les mains de mes poches. »Heureusement, une fois les premières difficultés surmontées, tout roule.
Son diplôme en poche, il passe par une année de salariat, qui n’est pas de tout repos (demandez-lui de vous raconter son anecdote chez la formatrice en réflexologie plantaire). Lorsque le service d’interprétation ferme ses portes, il se tourne vers le statut d’indépendant et rejoint l’Agence i LSF. Le rythme du salariat l’avait un peu usé, le changement est bénéfique et il reprend goût au métier.
Lorsqu’on lui demande si ça ne le dérange pas que l’on mentionne son trouble anxieux dans le portrait, il répond par la négative : « Je veux en parler. Parce que ça peut aider les gens. Le traitement médicamenteux, ça ne fait pas tout, mais ça te laisse la possibilité de t’améliorer, parce qu’en fait, quand tu ne prends rien, dans ma situation, en tout cas, tu es complètement coincé, tu ne peux rien faire. Le traitement m’a beaucoup aidé à m’épanouir. À 21 ans, j’étais étudiant à Lille, j’étais mal à l’aise. Marcher dans la rue, aller à la boulangerie, était difficile, je me sentais épié, je n’osais même pas aller prendre un snack à un distributeur. Quelques années plus tard, je suis devant des dizaines de personnes à traduire à faire des expressions du visage pas possible, à bouger dans tous les sens. » « A chaque fois que je travaille, c’est une revanche prise sur quelque chose qui m’handicapait totalement. » insiste-t-il.
Et le fait d’être un interprète homme dans un métier où les femmes sont de loin les plus nombreuses ? Cela lui donne à voir le sexisme de la société, reconnaît-il : « Je suis entré dans le métier en ayant ça en tête, en me disant que j’allais probablement être traité différemment. Très clairement, je pense que le fait de faire presque deux mètres et d’être un homme, là où les interprètes sont essentiellement des femmes, ça joue en ma faveur. Par exemple si j’interviens pour discipliner une réunion où tout le monde parle en même temps, les gens font tout de suite attention à moi. » Il remarque aussi des regards pas toujours élégants sur ses collègues.
Il n’a pas de signe préféré mais affectionne tout particulièrement le signe [escargot]. « La LSF, c’est comme une boîte à outils. Parfois, quand on traduit, il n’y a pas de signes standards pour tout. Donc, tu dois composer avec, broder, jouer avec cette langue, tu dois tout rendre visuel », remarque-t-il.
Quand il ne travaille pas, on peut le trouver chez lui à Croissy-sur-Seine à deux pas de la maison où il a grandi, avec son épouse et leurs chats. Il lit également beaucoup et surtout joue aux jeux vidéo, avec une appétence particulière pour les jeux de stratégie, les shooters et les jeux de rôles (RPG).
Peut-être un peu casanier, Maximilien ? Heureusement, tient-il à préciser, son travail lui permet de sortir de chez lui et de rencontrer beaucoup de monde !