Mélanie Bastet
Mélanie voulait un métier où elle se sente utile. Spoiler : elle l’a trouvé. Interprète en langue des signes française (LSF).
Pour nous en parler, cet enfant du XIIIème arrondissement de Paris — elle y a grandi et y a fait toute sa vie à l’exception des deux ans qu’elle a passés à Rouen pour son Master d’interprète en langue des signes (LSF) — nous accueille sur ses terres, dans un café de l’avenue de France, à deux pas de la BNF.
Sa première rencontre avec la langue des signes française a été « un peu un évident hasard ». Étrange formule. Elle s’explique : « J’étais très frustrée d’être monolingue. Je suis issue d’une famille basque espagnole quasiment bilingue. Quand on faisait des grandes réunions de famille, moi, je ne comprenais pas, je ne parlais pas. En grandissant, j’ai eu des amis qui venaient de plein de pays différents, donc aussi bilingues. »
C’est un trajet en bus qui la met sur la voie : « Ma grand-mère m’emmenait chez le dentiste à Saint-Lazare. A l’époque, il fallait prendre le bus. Ça prenait au moins une heure c’était long. Mais j’ai eu la chance de passer devant l’école Saint-Jacques. C’est comme cela que j’ai rencontré la langue des signes française la première fois. Je me suis dit : mais ils arrivent à parler juste avec leurs mains, il n’y a pas de son, il n’y a pas de voix ! Vraiment, ça a été une grande découverte : on peut aussi être bilingue sans voix. Ça m’a beaucoup intriguée. »
La seconde rencontre, alors qu’elle est encore au lycée, est déterminante. « Je voulais faire quelque chose dans les langues, c’était sûr, notamment avec le français puisque c’était la seule langue que je parlais, raconte-t-elle. J’étais partie sur un bac L et puis sur de l’orthophonie. J’ai fait un stage avec une orthophoniste en libéral mais je me suis rendue compte que ce n’était pas ce que je voulais faire. Il me manquait quelque chose. La langue des signes continuait à me trotter dans la tête, mais encore de loin. »
Jusqu’au jour où la LSF se rapproche. Elle croise le fils de sa voisine, qui est interprète en LSF. Il lui conseille d’essayer et de prendre des cours pour voir. « Je me dis que c’est bizarre encore le hasard qui me met sur la langue des signes. Je cherche des cours du soir et je me dis c’est ça que je veux faire. Donc, je me suis inscrite à la fac pour rentrer en licence et je n’ai jamais regretté. Ça a été un déclic. »
Elle obtient son diplôme en 2018. Après six ans de pratique professionnelle, elle nous dit avoir deux domaines de prédilection : « J’aime beaucoup le milieu du médical parce que j’y ai travaillé. C’est quelque chose qui me parle. L’enjeu de la confiance, la communication établie, c’est là où je me sens le plus utile. Et j’aime beaucoup le domaine du spectacle. Grâce à i LSF, j’ai la chance de pouvoir travailler dans des parcs à thèmes. C’est mon univers, j’aime ça. Et voilà, je m’y plais, je m’amuse, je joue un rôle comme au théâtre, j’apprends plein de choses concernant l’iconicité, le visuel et le placement du corps qui me sert, alors, dans mon travail d’interprétation. »
En se remémorant son parcours, une situation lui revient en tête : « J’ai un souvenir une fois en formation qui avait pour thème la communication non-violente. C’était la première fois que la personne sourde avait un interprète. Chacun.e s’exprimait sur son vécu au travail, avec les collègues, etc. La personne sourde s’est exprimée et dit qu’en fait, ça ne va pas du tout, que personne ne s’occupe d’elle, qu’à la cafétéria, elle aimerait parler avec ses collègues, mais il y a la barrière de la langue. Les collègues ne font pas l’effort. Elle se met à pleurer. Tout le monde pleure. A la fin de ce passage, c’est la pause. Tous les gens viennent nous voir, nous les interprètes, en disant : « Merci, parce qu’on ne le savait pas . On ne savait pas qu’elle était en souffrance. Et aujourd’hui, vous êtes là et grâce à vous, on a compris ce qui se passait ». Et là, avec ma collègue, on s’est dit heureusement qu’on était là aujourd’hui. Donc, c’était triste et touchant à la fois parce que ça repartait sur quelque chose de positif. Et encore une fois, c’est la notion d’utilité. Je me suis dit voilà, on n’était pas là par hasard. »
On passe ensuite aux questions habituelles du portrait. Elle n’a pas un signe préféré, mais deux. Il y a d’abord le signe [automne] : « parce que je le trouve très poétique, très dansant » et le signe [voyage], « parce que j’adore voyager et puis c’est vraiment le côté tour du monde. Et ça pétille, ça évoque des aventures ».
Les voyages, justement, elle en fait régulièrement. Outre l’Europe, elle a visité la Turquie, la Thaïlande, le Maroc, l’Egypte… et ne compte pas s’arrêter là. « Je pense qu’on n’a pas assez d’une vie pour tout faire ». Elle aimerait aussi se rendre en Tanzanie, au Mexique, ou en Amérique Latine. « J’adore voyager. Et s’il pouvait y avoir un pays des sourds, ce serait encore mieux. », glisse-t-elle en souriant.
Elle se passionne aussi pour la musique, la comédie musicale, et « l’univers de la voix en général ».« Grande enfant » assumée, elle confie aimer aussi l’univers Disney, la lecture, l’écriture ou faire du crochet.
Ses collègues seront par conséquent peut-être surpris d’apprendre qu’elle a toujours été complexée par sa voix : « Je ne pensais pas du tout en faire un instrument de travail, loin de là. On m’a toujours dit que j’avais une voix d’enfant, de bébé. Et donc j’ai évolué avec ça, c’est une jolie revanche. »
On note que parmi les comédies musicales qu’elle apprécie, elle cite Chantons sous la pluie. Cela tombe bien, dehors il pleut. Elle a un parapluie, de belles bottes blanches : le thème de la séance photo est tout trouvé. Et elle se prête au jeu avec un amusement non dissimulé.
Un peu de fantaisie aussi, c’est toujours utile.