Nadège Elmau
Nadège est précédée par sa réputation. Les collègues à qui nous avons parlé d’elle avant de la rencontrer ont toutes vanté son énergie et sa bonne humeur communicative. Après avoir passé une petite heure en sa compagnie, parler d’elle et de son métier, interprète en langue des signes française (LSF), force est de constater qu’elles n’avaient pas menti.
Née en Guyane, Nadège est venue à Paris avec sa famille à l’âge de 6 ans. Trois ans plus tard, cette famille nombreuse (sept enfants) s’installe dans un village du 78, à égale distance de Paris et Rouen. « J’ai grandi à la campagne, dans une maison, avec un jardin. Ambiance la Petite Maison dans la Prairie. ».
La LSF, elle y vient par « curiosité », un mot qu’elle prononce souvent, alors qu’elle étudie pour son master en anglais. « J’allais à la fac de Nanterre. Et je devais passer par Saint-Lazare. A Saint-Lazare, j’ai vu un groupe d’adolescents qui échangeaient. Je me suis dit, c’est dingue, parce qu’ils communiquent, et moi, je ne comprends pas. Donc finalement, c’est moi la personne en situation de handicap. »
Elle les voit à plusieurs reprises et un jour elle décide de les suivre. Elle arrive au Cours Morvan. J’ai vu sur la plaque, « cours pour élèves sourds oralistes ». « Je me suis dit, c’est quoi ce truc ? » Elle entre et demande à parler à une responsable. Nadège explique qu’elle est étudiante en anglais et propose du bénévolat pour du soutien en anglais à ses élèves. « Elle me demande si je connais la langue des signes. Je lui dis, non, pas du tout, mais ça va aller. Je passerai par l’écrit. » La directrice l’enjoint alors à « faire comme tout le monde » et à lui envoyer CV et lettre de motivation.
Elle s’exécute. « Elle m’a recontactée en me disant « j’ai cinq élèves qui ont besoin de soutien en anglais ». Le premier cours, j’ai les cinq élèves en face de moi. Et je ne peux même pas leur dire bonjour. Échec cuisant. » La directrice lui conseille de se former et de revenir si elle le souhaite. Ce qu’elle fait dans un premier temps à Nanterre, qui propose des cours de LSF en échange de tutorat pour des élèves en situation de handicap.
Petit à petit, le métier d’interprète LSF s’impose à elle. Elle rejoint d’abord une association culturelle pour les personnes sourdes en tant que bénévole, puis travaille quelque temps à Noisy-le-Grand au CRESN pour seconder un professeur sourd. Ensuite, grâce à une amie, elle obtient un travail de formatrice d’anglais pour personnes sourdes et de médiatrice. Au bout de quelque temps l’entreprise ferme. « Et là, je vois qu’il y a le concours pour intégrer le Master 2 d’interprétation, dit-elle. Donc, je le tente à Paris VIII et Lille. Je suis prise aux deux. Et comme je ne connaissais pas Lille j’ai décidé d’aller à Lille ! »
Son mémoire, elle veut initialement le faire sur « la minorité dans un métier minoritaire ». « Parce que je suis noire. Et on est dans un métier où on est 600 et des gens comme moi, on n’est pas beaucoup. », indique-t-elle. Mais elle n’en parle à personne et quand on découvre son sujet, on lui dit que ça ne sera pas validé parce que « en France, il n’y a pas de comptage ethnique ». Ce choix venait aussi d’une expérience marquante: « La première fois que j’ai été en stage, c’était à Marseille. J’arrive et il y a une étudiante, une jeune femme noire, qui me voit et qui fait « enfin ». Moi, je ne capte pas. On sort du cours et je demande à ma tutrice. Pourquoi elle me dit « enfin » ? Elle me répond « mais tu ne te rends pas compte, il n’y a pas d’interprète noire à Marseille, c’est la première fois qu’elle en voit un.e. » .
Elle doit choisir un autre sujet. « Mais ce n’est pas fini, je le ressortirai, dans une thèse ou un doctorat, je suis coriace », sourit-elle.
Elle obtient son diplôme en 2015 et travaille immédiatement. Elle exerce d’abord dans une entreprise qui fait de la visio-interprétation. Mais le travail derrière un bureau la frustre: « Je suis quelqu’un qui a beaucoup d’énergie. Et trois jours, ça faisait vraiment beaucoup pour moi. Donc, j’ai arrêté. » Elle s’investit donc sur « le terrain », notamment au sein d’i LSF, qu’elle rejoint quelques années plus tard.
En parallèle, elle est bénévole dans une association de femmes sourdes féministes et va traduire dans les commissariats et gendarmeries. Ce qui n’est pas toujours agréable. « Quelquefois, quand tu vas dans un commissariat et on t’a juste dit « oui, monsieur est là pour une histoire de mort ». Tu sais déjà que tu vas être dans un truc un peu sale. Et ça m’est arrivé une fois où le gendarme, il tourne l’écran et là, une grosse photo bien dégueulasse. Je n’étais clairement pas prête. »
Sur son temps libre, elle fait beaucoup de sport. « J’ai toujours fait du sport. Je suis un peu speed comme personne. Il faut que j’évacue un peu l’énergie, sinon je fatigue mon entourage. », glisse-t-elle. Après avoir fait de l’athlétisme et du hand (comme gardienne), elle pratique aujourd’hui l’escrime, « un sport très cardio, très physique, mais en même temps très élégant. »
Son signe préféré, c’est [vivant]: « Parce qu’il est en mouvement. Il est comme moi. Et comme je dis, quand l’encéphalogramme est plat, c’est qu’il ne se passe plus rien. Tant que c’est en mouvement, ça va. »