Sandra Hiriart
On taquine souvent Sandra pour sa capacité à s’émerveiller de tout, nous dit-elle lors de notre entretien. Et la LSF y est peut-être pour quelque chose. Pour le comprendre, il faut parler de son parcours qui la conduite à devenir interprète en langue des signes française (LSF).
Native d’Urrugne, au Pays Basque, à côté de Saint Jean de Luz, Sandra a grandi avec trois langues, le Français, l’Espagnol et le Basque. Elle ne parle pas le Basque, qui est une langue extrêmement difficile à apprendre, précise-t-elle, mais elle vient de s’y remettre.
À la suite d’un événement durant son enfance, elle se retrouve complètement entravée dans sa communication et toute forme d’interaction avec le monde extérieur. C’est en découvrant la LSF, à l’adolescence qu’une brèche s’ouvre : « J’avais déjà vu la LSF petite à la télé. Plus tard, en lisant des livres, je me suis dit : il faut que j’apprenne cette langue. Et je suis partie faire des stages pendant ma licence de lettres modernes. Avec la langue des signes, j’ai découvert un nouveau rapport à mon corps, un nouveau rapport à mon identité, une manière de m’exprimer autrement. Je n’arrivais plus à côtoyer les gens, à me socialiser et j’ai réussi à trouver un autre mode de communication, une manière de me réapproprier progressivement mon expression. Une expression qui demandait cette fois-ci de se reconnecter à ses mots, à sa place et à son corps aussi. Un défi qui m’a offert un nouveau chemin vers l’autre et vers moi-même ».
Elle apprend la langue des signes et entame un master pour devenir enseignante. Malheureusement au fil des stages, elle se rend à l’évidence. « Je ne voulais pas du tout être dans un système où je n’appréciais pas les valeurs. Je voulais vraiment un métier à vocation et c’était la langue des signes. Cette langue m’animait. Et là, je me suis dit, tente interprète, on ne sait jamais. Pourquoi pas ? Je sentais qu’il fallait que je fasse ce métier. Je ne peux pas l’expliquer. La LSF avait, d’une certaine façon, redonné un sens à mon existence et j’avais le sentiment que ce parcours serait un juste retour des choses, donner un peu là où on m’avait tant offert. »
Elle part donc se former à Toulouse, à Visuel LSF, puis intègre le Master à Paris VIII. Après des débuts où sa timidité se met en travers d’une bonne pratique de la langue, elle a un déclic et obtient son diplôme en 2018 : « J’ai fini mon parcours. J’ai été diplômée. Je savais que c’était ce métier que je voulais. Je trouve qu’il a un sens ».
Elle aime particulièrement travailler en milieu universitaire : « J’ai l’impression que je prends encore des cours… Tout ce qui est du domaine de la philosophie, de la littérature, de la psychologie m’enchante. »
En revanche, elle ne se précipite pas pour faire du médical, « je crains le sang », confie-t-elle, mais quand elle en fait, l’expérience est marquante.
Elle s’explique : « Je pense que c’est le destin. À chaque fois, je me retrouve dans des situations où le patient est confronté à quelqu’un qui manque d’empathie. Et du coup, malgré la casquette interprète qui est censée être neutre, une fois le rendez-vous clôturé et la personne livrée à elle-même, un lien humain s’installe, dépassant parfois le cadre. » Elle poursuit : « C’est un peu la beauté du métier aussi. L’humanité opère. »
Un autre moment lui revient en tête : « Dernièrement, je suis repartie à l’hôpital pour accompagner une dame pour un examen qui lui faisait très peur. La situation n’était pas idéale car s’agissait d’une personne sourde qui ne communiquait pas en langue des signes française, mais dans la langue des signes du pays dont elle était originaire. A la fin, elle m’a offert un billet provenant de son pays pour que je garde un souvenir de sa personne. C’était inattendu et touchant. J’ai senti que ce n’était pas ma langue des signes qui l’avait aidée. À l’inverse, j’étais restée là et notre présence comble parfois simplement le mur qui sépare les gens. C’est ça le plus symbolique dans ce métier. Qu’on le veuille ou non, on crée quand même du lien, ajoute-t-elle. Il y a cette performance intellectuelle et cognitive qui me stimule constamment et il y a ces éclats d’humanité. C’est cette part d’inédit que j’apprécie tout particulièrement et qui laisse rarement de l’espace pour la routine et l’ennui. »
C’est lorsqu’on lui demande ce que ses collègues ne savent pas d’elle, elle répond « de sa capacité à s’émerveiller constamment » . « Je pense que c’est juste parce que ce métier a vraiment changé ma vie. Donc, je suis heureuse d’être là. Je sais qu’être interprète c’est aussi un métier que j’affectionne parce que je trouve qu’il peut s’apparenter à de l’art. Je pense qu’il permet aux gens qui cherchent un peu de liberté de trouver, dans un cadre et un métier, une forme d’émancipation au quotidien. Libre de créer du lien, de ne pas en créer, d’user des mots et de tendre toujours vers une traduction de qualité, d’être traversé par l’humain. Et de pouvoir, au quotidien, vivre de et dans l’inattendu. »
Après cette belle ode à l’interprétariat en LSF, elle nous révèle qu’elle apprend la cartomancie et se consacre à l’écriture. Elle essaie d’écrire une dystopie « qui a comme objectif de valoriser la capacité des gens à dépasser leur passé et à recréer du lien de manière globale ». « Une dystopie qui est aussi féministe. », précise-t-elle.
A ce sujet, après la séance photo au bord du Lac Daumesnil, elle ajoute qu’elle pratique le rugby à XV à Vincennes. « C’est un des seuls sports où chaque corps a sa place. On joue pour le collectif, on s’inscrit dans un groupe en considérant les qualités et les potentialités de chaque joueuse. La performance de l’équipe passe par cette nécessité à ce que chacune incarne le rôle qui lui correspond le plus. C’est un sport inclusif et très solidaire. »
En continuant la balade, elle dit qu’elle aime se promener le long du lac, car elle trouve que « les gens ont l’air heureux ici ». S’émerveiller, encore et toujours.