Sandrine Mustière

On ne rencontre pas tous les jours quelqu’un qui garde un enthousiasme intact pour son métier – interprète en langue des signes – plus de 20 ans après l’avoir commencé. Alors quel est le secret de Sandrine ? 

Sandrine a passé son enfance en Normandie, du côté d’Alençon. Une région qu’elle a quitté à regret pour exercer son métier en région parisienne. Sa rencontre avec la langue des signes est le fruit d’un « merveilleux hasard ». Elle raconte : « J’ai longtemps pratiqué le basket. A la fin d’un match où j’avais joué, je suis allée du côté des spectateurs. Il y avait deux personnes sourdes qui étaient en train de communiquer en signant et qui visiblement avaient l’air très heureuses, qui riaient beaucoup. C’était hyper frustrant de les voir communiquer comme ça, de se demander si elles se moquaient de nous, si elles se racontaient une bonne blague. J’ai surtout trouvé cela très beau, j’ai ce souvenir de leur grand sourire et ça m’a plu. A ce moment, j’ai eu la curiosité de vouloir découvrir cette langue. »

Elle prend les choses en main et rencontre une personne qui travaille dans une école avec des enfants sourds près de chez elle.  « J’ai pris contact avec l’école. Avant ça j’avais quand même pendant un an appris via un livre — ce qui n’est pas bien du tout, mais on était au siècle dernier ! — quelques bases de la langue des signes. Quand je suis allée à l’école, ils m’ont dit, il y a un prof qui est absent la semaine prochaine, est-ce que vous voulez le remplacer ? Allez ! Et donc là, je plonge dans le monde des sourds. Depuis, chaque rencontre a été un palier de plus. »

Tout s’enchaîne : « Dans cette école, les enfants et adolescents m’ont fait découvrir beaucoup de choses, sur la langue des signes, l’histoire, la culture, les rencontres avec des sourds étrangers. Ce qui m’a donné l’envie, plus tard de faire un chantier international en Bulgarie, où la thématique était de restaurer l’école des enfants sourds de Sofia. Puis l’année suivante, de faire un reportage photo aux Deaflympics (Jeux Olympiques des Sourds), à Copenhague. Bref, une fois que j’ai mis le pied dans le monde des sourds, je n’ai pas arrêté. Ça na été que des moments vraiment hyper formateurs, enrichissants et je n’avais qu’une hâte c’était de continuer de creuser.  Chaque signe ou presque que j’apprenais, je me disais « oh c’est trop beau! » et ça ne ma jamais fait cet effet avec un mot anglais ou allemand. »

Après tous ces projets elle prend officiellement des cours de LSF, à Rennes d’abord, puis à Toulouse. Elle intègre ensuite l’école d’interprètes de l’Université Paris 3, l’ESIT. Elle sort diplômée en 2001, puis passe 20 ans comme salariée à l’ARIS, un service d’interprète en langue des signes jusqu’à sa fermeture en 2022. « C’était une année un peu pourrie avec un petit combo licenciement économique et cancer… Mais j’ai pu repartir, grâce aux personnes qui m’ont tendu la main à ce moment-là », commente-t-elle.  

Elle travaille aujourd’hui comme indépendante, et collabore régulièrement avec i LSF depuis un an et demi. « Jamais je n’aurais imaginé que je puisse travailler ensuite en indépendante, pour moi c’était de l’ordre de l’impossible et puis finalement tu te rends compte que tu as des ressources en toi qui font que parfois des choses impossibles deviennent possibles. », dit-elle. 

Elle apprécie particulièrement exercer dans le domaine de l’art. « On a une chance incroyable : parfois il peut y avoir de très belles expos, qui ne sont pas encore ouvertes au public, et on est appelé pour traduire une visite guidée, il n’y a personne devant les tableaux. C’est royal, c’est un vrai cadeau ». 

Mais au fond, insiste-t-elle, ce qui la passionne surtout « c’est la technique d’interprétation en elle-même ».  Elle poursuit : « On a une langue vocale, une langue gestuelle, et comment on passe de l’une à l’autre. Même pour un « simple » entretien, faire passer le message du mieux possible, avec les techniques d’interprétation qui sont là, quelle que soit la situation, quel que soit le domaine, le défi est le même. Et donc, je m’éclate autant en faisant un cours, une formation, une réunion. » Elle le résume en une phrase : « Si j’en suis là après presque 25 ans de boulot avec autant de bonheur de pratique, c’est parce que dans chaque vacation, j’y trouve quelque chose. » 

Son signe préféré, c’est celui de sa fille, Lily. « Mais ce n’est pas forcément parce qu’il est beau son signe, indique-t-elle. Lily, c’est parce que quand elle était bébé, elle mettait souvent sa main comme ça [elle pose un poing contre sa joue]. Avec son papa qui est sourd, on l’a baptisée comme ça, Lily. Donc oui, c’est un signe qui me touche. »

Côté passions, elle « aime beaucoup, beaucoup lire ». « C’est une activité que je dois avoir au quotidien sinon ça ne va pas. » Elle était d’ailleurs plongée dans un Stephen King, quand on l’a retrouvée.  Et s’il faut citer d’autres activités: « Je fais du yoga, je marche beaucoup. J’aime énormément ça. Et j’ai une passion pour mes proches, la musique et le chocolat ». 

On l’interroge sur cet entrain avec lequel elle parle de son métier: « J’ai ma meilleure vie, mais j’ai l’impression d’avoir toujours vécu ma meilleure vie, répond-elle. Il y a eu des coups du sort, mais ça m’a aussi fait avancer, ça m’a permis d’évoluer. J’ai connu des trucs moins rigolos, mais j’ai la chance d’avoir un entourage top et un boulot au quotidien qui est hyper enrichissant. »

Elle forme d’ailleurs un vœu : « Je voudrais juste continuer jusqu’à la retraite comme ça. Je vais avoir 50 ans l’année prochaine, et je me dis que si je peux, ce serait mon rêve, de finir avec ce boulot-là, dans ces conditions-là, à peu près jusqu’à la fin. Je signe tout de suite, et je me trouverais hyper chanceuse. » 

Avec son expérience, que dirait-elle à quelqu’un qui débute ? « D’y aller à fond », lance-t-elle, avant d’enchaîner : « C’est un métier qui peut apporter énormément, ce sont des rencontres exceptionnelles, ça vaut le coup de s’accrocher pour avoir son diplôme. Moi, jen suis à plus de 20 ans de pratique de ce métier. Jespère sincèrement qu’ils sauront apprécier le bonheur que ça peut être de bosser comme interprète dans le contexte actuel avec tous ces chouettes collègues ».  

xavier héraud