Tiffany Quesnel
C’est une belle histoire que raconte Tiffany Quesnel lorsqu’on l’interroge sur sa rencontre avec la langue des signes et comment elle est devenue interprète F-LSF.
Elle a 14 ans, vit à Paris, et est en échec scolaire. Sa mère s’oriente vers une nouvelle solution et décide de lui trouver un établissement privé. Elle se démène, mais sa recherche s’avère délicate : les résultats scolaires de Tiffany sont perçus comme trop décevants pour les structures sollicitées, qui ne lui laissent aucune opportunité.
C’est par un heureux hasard que sa mère tombe sur le numéro du Cours privé Morvan. Particularité plutôt surprenante pour un établissement : celui-ci accueille des élèves sourds et malentendants, et accepte quelques entendants à titre exceptionnel. La directrice leur propose donc un entretien, ne serait-ce que pour en discuter directement avec la jeune fille.
Tiffany se souvient : « J’ai fait mon entretien avec la directrice, j’ai passé une demi-journée dans une classe et j’ai visité l’établissement. C’était un établissement oraliste, mais certains profs connaissaient plus ou moins la langue des signes. Ils utilisaient énormément le tableau, projetaient les contenus, utilisaient des PowerPoints, etc. J’ai passé ma matinée avec eux dans une classe. Je n’ai pas pu communiquer avec les autres élèves, mais de les voir s’exprimer en langue des signes, j’ai trouvé ça incroyable. »
Quelque chose s’opère alors dans l’esprit de Tiffany et, la matinée achevée, elle informe la directrice qu’elle est partante. Elle est donc acceptée. Un nouveau départ s’offre à elle. Résolue à repartir sur de bonnes bases, elle demande à intégrer le cours Morvan en redoublant sa 4e. Les conditions sont idéales : avec des classes de cinq élèves, tout est propice à sa réussite. Dans tout l’établissement, il n’y a que quatre entendants.
Et détail frappant, Tiffany nous fait remarquer : « Quand l’habitude nous pousse à visualiser les sourds en intégration dans le monde des entendants, je me retrouve, moi, entendante, en intégration avec des sourds. »
Des perspectives qui changent – et qui bénéficient à sa scolarité – lui permettant d’envisager autrement son avenir : « Vraiment, je ne m’imaginais pas faire de grandes études. Je ne savais pas trop quoi faire comme métier, mais en tout cas, je ne m’imaginais pas à l’université. Pour moi, c’était inatteignable. Et finalement, en une année, j’ai rattrapé mon niveau grâce à cette classe. Cinq élèves, forcément, ça aide. »
En plus de ce nouveau confort pédagogique, elle découvre une nouvelle langue et l’apprend grâce à des cours spécifiques. Elle se souvient de son ressenti à l’époque et de sa motivation à devenir bilingue : « Pour moi, c’était inconcevable de ne pas pouvoir communiquer avec mes camarades. Et en plus, j’ai trouvé ça génial. Je ne pouvais pas ne pas apprendre. »
Il lui faut un peu de temps pour prendre confiance, mais elle s’intègre peu à peu aux autres, notamment grâce à une amie malentendante qui connaît la langue des signes. Après avoir constaté qu’elle pouvait réussir là où elle se pensait condamnée à l’échec, elle se fixe un objectif professionnel : « Je me suis dit qu’il était temps de devenir interprète et que ce n’était peut-être pas si inatteignable que ça. »
Ensuite, elle s’engage dans un cursus en Sciences du langage, puis intègre le Master d’interprétariat à Paris VIII, dont elle sort diplômée en 2018. Elle travaille d’abord au sein d’un institut et commence à effectuer des missions pour l’Agence i LSF en parallèle. Quelques années plus tard, elle quitte l’Institut pour se consacrer à un autre domaine : la visio-interprétation.
Avec ces années d’expérience, elle porte un regard attendri sur une situation en particulier. Elle nous la raconte ici : « Une fois, j’ai eu un appel d’une usagère sourde qui a appelé sa grand-mère entendante pour la première fois, pour lui souhaiter son anniversaire. C’était incroyable. C’était la première fois qu’elle l’appelait, et même la première fois qu’elle avait une vraie discussion avec elle, dans sa langue. Les deux étaient en pleurs. Moi, j’étais là, totalement absorbée par cette émotion. Elles étaient très heureuses de pouvoir enfin communiquer ensemble. C’est un moment qui m’a beaucoup touchée, j’ai trouvé ça très beau. »
Depuis avril dernier, Tiffany est à 100 % en indépendante. Elle aime travailler dans le domaine de la formation : « On y découvre plein de choses, même lors de formations que l’on connaît déjà. La diversité des formateurs, des participants, leurs perceptions, modifient constamment ce qui est à traduire. On apprend toujours de nouvelles choses. »
Aujourd’hui, elle constate que la langue des signes lui permet de soigner sa timidité, ou du moins de la mettre entre parenthèses : « Lorsque j’interprète, ce n’est pas mon discours. C’est ma voix, ça passe par mon prisme, mais ce n’est pas moi qui m’exprime, et ma timidité disparaît. »
La langue a même structuré sa pensée et continue à l’influencer. Elle nous confie un de ses secrets de mémorisation : « J’ai commencé à apprendre mes cours en langue des signes. J’ai une mémoire visuelle qui est beaucoup plus sollicitée et efficace par le signe. Pour me souvenir de quelque chose, j’ai désormais besoin soit de l’écrire plusieurs fois, soit de le signer. »
Elle qui ne se voyait pas étudier à l’université a même repris des études, des cours de coréen à distance.
« J’apprends à lire, écrire et parler le coréen et j’ai également des cours de civilisation ». Elle adore aussi les concerts, de K-pop et de rock. L’un de ses groupes préférés ? Muse, qu’elle essaie d’aller voir à chaque tournée.
Installée dans le 77, un peu à la campagne mais pas trop — puisqu’en “bonne Parisienne”, elle n’a pas le permis —, elle regarde aujourd’hui son parcours avec le sourire.
Elle cherchait une école, elle a trouvé une langue ; elle cherchait un métier, et elle a retrouvé confiance en elle. Une belle histoire, vraiment.
