Vivien Fontvieille

Retrouvez la version en LSF du portrait au bas de cette page

Vivien Fontvieille, traducteur et interprète en langue des signes, n’avait, de son propre aveu, jamais imaginé vivre à Paris, la ville où il s’est installé il y a un an. 

Ce natif de Lyon, âgé de 37 ans y est venu pour le travail. Mais le trajet n’a pas été direct. Les différentes formations qu’il a suivies au cours de sa carrière l’ont d’abord conduit à Montpellier puis Toulouse et en Bretagne. Il a ensuite traversé l’Atlantique pour poursuivre des études au Canada, effectuer des stages aux États-Unis, avant de revenir en France, à Nantes, et enfin à Paris. On le retrouve près d’un lieu emblématique de la capitale, la place de la République, pour évoquer son impressionnant parcours professionnel. 

Vivien est le seul Sourd de sa famille. Ses parents et ses deux sœurs sont entendants. « Ma grande chance, c’est que ma famille a décidé d’utiliser la langue des signes : j’ai été élevé avec la langue des signes et jamais dans l’oralité », explique-t-il. Enfant, il a subi les préjugés liés à sa surdité, mais il relativise : « On le sait, le monde n’est pas parfait. Quand j’ai grandi, j’ai subi des moqueries, mais je n’ai jamais été malheureux. J’ai eu la chance d’avoir une langue bien installée, une très bonne entente dans ma famille, et d’être heureux. Cela m’a vraiment permis d’avoir confiance en moi. Le reste, le négatif, c’est vraiment minoritaire ». 

Que voulait-il faire quand il était petit ? « J’ai beaucoup changé d’idée, comme le font souvent les enfants. Jusqu’au lycée, je voulais être traducteur vers l’anglais car je pensais que pour être interprète, il fallait être entendant. A cette époque, j’ignorais que moi, en tant que sourd, je pouvais aussi faire ce métier. Donc je me suis dirigé vers la traduction en anglais. À la fin de mes études, j’ai appris qu’il existait de la traduction en langue des signes et du coup, j’ai bifurqué vers cette voie. Je suis allé à l’université à Toulouse pour apprendre la traduction vers la LSF ». En complément, il se forme pour pouvoir traduire en langue des signes tactile et haptique (pour les personnes Sourdaveugles). 

Puis il se tourne vers l’interprétation en signes internationaux : « Il fallait que ce soit validé par une formation internationale. Je suis au Canada pour apprendre plusieurs langues des signes et améliorer mon anglais écrit/lu. J’ai choisi la partie ouest du Canada, qui est anglophone, à Vancouver, pour m’immerger totalement dans un bain linguistique ». Il y acquiert plusieurs langues des signes : canadienne, québécoise et américaine, puis passe avec succès un concours pour devenir officiellement interprète en signes internationaux.

C’est au Canada qu’il découvre la co-interprétation. Cette technique se pratique en binôme « interprète entendant », « interprète sourd ». L’interprète entendant interprète ce qu’il entend vers une langue des signes et son collègue sourd récupère cette première interprétation pour la retraduire/transmettre plus exactement au public sourd, avec l’objectif de restituer le discours dans une forme plus naturelle, plus idiomatique, étant donné que cette langue cible est généralement sa langue maternelle.

Il se souvient : « La chance que j’ai eue, c’est que je faisais un stage à l’université et qu’il y avait de la co-interprétation donc j’ai pu apprécier l’apport de cette technique pratiquée depuis 20 ans outre-Atlantique ». 

De retour en France, Vivien devient le premier interprète Sourd diplômé pratiquant la co-interprétation : « J’ai essayé de développer cela avec les interprètes entendants. Au début cela a été difficile : pendant 30 ans, les interprètes ont travaillé seuls et cette nouvelle technique peut perturber, ça génère certaines peurs et certaines inquiétudes. Donc il a fallu rassurer, expliquer la méthode, qu’il y a vraiment un travail d’interprétation qui est partagé. Ça commence progressivement à évoluer aussi parce qu’il y a maintenant des formations pour interprètes sourds ». 

Aujourd’hui, Vivien jongle entre ses différentes compétences et navigue au quotidien au sein du service d’interprétation Empreintes, comme salarié et avec l’Agence i LSF pour qui il travaille régulièrement. 

Parmi ses expériences marquantes, il cite la traduction de plusieurs pièces de théâtre dont Cyrano de Bergerac pour des représentations à la Comédie Française : « j’ai traduit en LSF et enregistré en vidéo cette traduction de la pièce d’Edmond de Rostand et grâce à une nouvelle technologie de lunettes connectées, les personnes désirant bénéficier de la traduction portent ces lunettes pendant la représentation et j’apparais en surimpression des acteurs sur scène »

Pour l’interprétation, il cite une mission pour l’ONU à New York, les Jeux Olympiques et Paralympiques, l’émission Télématin, diffusée sur France 2 : « J’y travaille une fois par semaine. On se réveille très tôt. L’équipe est super, ouverte d’esprit et je me sens vraiment intégré. Il y a une journaliste qui s’appelle Flavie Flament, elle est incroyable. Elle a fait l’effort d’apprendre un peu la langue des signes pour communiquer avec moi et je trouve ça génial. Il n’y a plus d’obstacle et ça me motive pour travailler ». 

Un jour, c’est Gérard Larcher, le président du Sénat qui est l’invité. Il est question des Jeux Olympiques et de l’éventuelle participation d’Aya Nakamura à la cérémonie d’ouverture. Critiquant les paroles de la chanteuse, l’élu emploie le mot [levrette]. « En co-interprétation, ma collègue m’a traduit « levrette ». Ça m’a un peu interloqué parce qu’on était sur un sujet politique. J’ai traduit la phrase avec ce signe et le tout a été diffusé. Puis Yann Barthès, de l’émission Quotidien (sur TMC), m’a contacté directement sur mon numéro personnel pour me demander « mais attends, c’est ça vraiment le signe de levrette ? » puis il m’a appelé en visio pour être sûr de bien faire le signe car il voulait le reproduire dans son émission. Ce qu’il a fait. J’ai réalisé que tout ce qui se passe à la télévision a beaucoup d’impact et que de montrer la LSF permet d’aider à une reconnaissance de cette langue » commente Vivien.

Son planning professionnel très chargé ne l’empêche pas de pratiquer le sport. En ce moment il fait régulièrement de la musculation et joue dans un club de water-polo. Le fait d’avoir beaucoup bougé pour ses études lui a donné le goût du voyage. Il prévoit d’ailleurs de partir 3 semaines au Vietnam prochainement. Il confie apprécier particulièrement les lieux qui ont une longue histoire et une culture riche. C’est ce qui lui a permis d’apprécier la vie parisienne. 

Avant de se quitter, on reparle de l’impact qu’il peut avoir par ses différents métiers sur la communauté sourde. Il en est tout à fait conscient. La co-interprétation, notamment, lui vaut beaucoup de retours : « Au début, les gens pensaient que j’étais entendant. Et je leur disais, non, moi je suis Sourd. Ils n’ont pas l’habitude, ils n’ont jamais vu ça. » 

D’ailleurs, il ne cache pas que derrière son activité professionnelle il y a aussi un aspect militant : « C’est pour montrer à la communauté qu’on peut tout faire, et qu’on a la même valeur que n’importe qui. Moi-même, j’ai vu depuis tout petit qu’il y avait des obstacles, des barrières linguistiques avec le monde des entendants. Je l’ai vécu dans ma chair, je sais quels sont les besoins des sourds parce que j’ai vécu la même situation qu’eux. Je n’ai pas voulu devenir interprète juste comme ça, par hasard. J’ai vu que les sourds étaient confrontés à une barrière linguistique qui les bloquait réellement. Pas parce qu’ils ne sont pas capables. Ils ont les compétences. Le problème c’est que la société les voit comme « pas capables » et les gens n’imaginent pas que ça vient de la langue, tout simplement. Moi, je veux démontrer que le blocage vient de cette barrière linguistique et que s’il n’y avait pas cette barrière, on serait tous à égalité, dans une société ouverte et inclusive ». 

Le fil conducteur de la carrière professionnelle du traducteur-interprète semble au fond se résumer à un principe aussi simple qu’essentiel : les barrières sont faites pour être brisées.

xavier héraud

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Portrait de Vivien Fontvieille traduit en langue des signes française par l’Agence Vice & Versa :