Adrien Leloup

Adrien Leloup n’avait pas prévu de devenir interprète en langue des signes française (LSF). L’objectif de départ, c’était orthophoniste. Le destin en a décidé autrement.

Il a grandi en Sologne, entre Tours et Orléans. « Si on aime la chasse et la verdure, c’est là qu’il faut aller », commente-t-il, pince sans rire. Devant un verre en terrasse à Vincennes, où il vit désormais, il revient sur son parcours : « Après le bac, deux solutions s’offraient à moi : soit entrer en prépa ortho — mais c’était un budget que mes parents et moi ne pouvions pas nous permettre — soit faire une licence de sciences du langage, qui pouvait mener au métier d’orthophoniste. » Il s’engage donc dans la seconde voie et tente ensuite le concours d’orthophoniste à deux reprises, sans succès.

Il découvre la langue des signes en deuxième année de licence, grâce à une initiation obligatoire. C’est le déclic : « J’ai eu vraiment quelque chose avec cette langue : j’assimilais tout très vite et ça me passionnait. »

À la fin de l’initiation, qui ne dure qu’un semestre, il poursuit et trouve une association qui offre un programme intensif d’apprentissage sur une semaine.

Pour sa troisième année de licence, c’est le dilemme : il peut soit s’orienter vers du Français Langue Étrangère (FLE), soit continuer le parcours classique. Le FLE l’attire davantage, mais on n’y propose pas de cours de langue des signes. « J’ai pris le parti de me dire : tant pis pour le FLE, je veux continuer la langue des signes. »

L’année suivante, il va même jusqu’à refaire une troisième année de sciences du langage à Rouen, très centrée sur la langue. « Il y avait 180 heures de cours de langue des signes, de la linguistique mais basée sur la langue des signes, des cours sur l’histoire des sourds et de la culture sourde. Et c’est durant cette deuxième troisième année que j’ai découvert le métier d’interprète. »

Jusqu’ici, il ne voyait pas ce qu’il pouvait faire avec cette langue : « Je considérais que la langue des signes était un plus, mais ce n’était pas un diplôme. Il fallait que j’aie une compétence en plus : les techniques pour traduire d’une langue à l’autre, c’était cela cette fameuse compétence en plus. »

Grâce à ses stages intensifs, où il se lie d’amitié avec les professeur·es, il commence à côtoyer la communauté sourde. Cela lui donne l’occasion de découvrir le fossé qui sépare la langue des signes « académique » et celle que pratiquent les sourds au quotidien.

« Je fais toujours le parallèle avec un étranger qui va apprendre le français : il apprend les phrases négatives “je ne sais pas”, et il arrive en France, il n’entend que des “j’sais pas”. En langue des signes, c’est pareil. Et c’est justement en côtoyant ce qu’on appelle un peu la langue des signes de la rue, c’est-à-dire en voyant des sourds en dehors d’une situation académique, que j’ai pu progresser. »

Il rentre en master à Paris 8 Serac (la dernière promo Serac, précise-t-il) et en sort diplômé en 2016.
Une fois diplômé, Adrien rejoint l’ARIS, où il avait déjà effectué son stage de M2. Il y reste jusqu’en 2021. Il est ensuite recruté par une autre structure, Paris Interprétation, une SCOP, donc avec un fonctionnement collectif. où il travaille trois jours par semaine. Cela lui laisse le temps pour d’autres missions, notamment avec l’Agence i LSF. En tant qu’indépendant, il exerce aussi parfois dans la région Centre ou en Seine-et-Marne.

Dans sa pratique professionnelle, Adrien cite un domaine de prédilection : les sciences. Il évoque une situation « atypique » : « Un cours de maths où le prof est sourd et enseigne à une classe d’entendants. Donc tout le cours se fait en langue des signes et moi, je dois traduire vers le français. »

Il explique : « C’est assez étonnant pour plusieurs raisons. Déjà, je trouve que dans notre métier, on traduit beaucoup plus vers la langue des signes que vers le français. Et quelles que soient les matières, les profs sourds enseignent souvent aux sourds. Un prof sourd qui enseigne aux entendants par le truchement d’un interprète, c’est une situation assez atypique. Et surtout, les maths ! » D’autant que cette mission, qui a duré plusieurs années, s’est effectuée dans de bonnes conditions : « Le rectorat payait les interprètes et on avait le droit à un temps de préparation avec le prof pour vraiment se caler. »

En ce moment, il s’épanouit dans le domaine médical : « J’interviens beaucoup à la Pitié-Salpêtrière et dans les autres hôpitaux de l’AP-HP. On travaille en collaboration avec les intermédiateurs sourds. Ce travail d’équipe, je trouve ça super parce qu’à la Salpêtrière, il n’y a qu’un intermédiateur et une intermédiatrice ; il y a énormément de consultations et ils ne peuvent pas être là tout le temps. En travaillant avec eux, je vois un petit peu leur technique, que je peux essayer de mettre en place quand ils ne sont pas là, pour débloquer des situations. »

Il dresse un parallèle avec le travail qu’il a pu effectuer en co-interprétation, avec d’autres collègues comme Vivien Fontvieille, interprète-traducteur sourd. Cela l’a conduit à améliorer sa pratique : « J’ai fait un petit travail sur moi-même pour tous les signes parasites, tous les signes qui alourdissaient un peu le discours : les enlever pour être beaucoup plus rapide, plus concis et plus clair. »

Ce qu’il aime dans l’interprétation, indique-t-il, « c’est qu’il n’y a pas qu’une seule bonne interprétation ». Il développe : « On s’occupe du sens, et une unité de sens peut se traduire de plusieurs façons différentes. C’est ça qui m’anime dans le métier : trouver des stratégies et voir qu’elles fonctionnent. Et un jour, je rencontre une personne sourde, j’utilise une stratégie qui a déjà marché, et ça ne prend pas. Quand j’ai des stagiaires, je leur dis qu’il faut être un couteau suisse. Ce qu’on sait traduire, il faut apprendre à le traduire de plusieurs manières différentes, parce qu’il y aura forcément un jour où la technique qu’on utilise ne marchera pas, et il faut vite trouver la parade pour faire passer le sens. »

Être membre de l’AFTILS (Association Française des Traducteurs et Interprètes en Langue des Signes) lui permet d’échanger avec ses pairs et de constater que les interprètes qui n’exercent pas à Paris travaillent dans des conditions bien différentes. « En Île-de-France, les plannings se remplissent plutôt bien. J’ai pas mal d’amies et de collègues qui ont décidé de partir de Paris. C’est une autre paire de manches : elles sont obligées de batailler pour leurs conditions de travail, pour être deux, pour les tarifs. Parfois, elles couvrent toute une région entière. Côtoyer les interprètes qui viennent de région, ça permet de mettre en perspective. »

En dehors du travail, il aime beaucoup aller au cinéma avec sa femme. Un genre préféré ? « J’aime bien les biopics, mais après, je suis vraiment ouvert à tout : ça peut aller de la science-fiction, les gros blockbusters américains, aux petits films d’auteurs. C’est un peu comme mon métier : j’adore tout, mais si je devais faire tout le temps la même chose, ça me saoulerait. »

Adrien Leloup, interprète en langue des signes de l'Agence i LSF